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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

reculera pas. Mieux la faim avec la liberté, par les routes, que le nutritif esclavage natal ! Et il quitte Charleroi. Des jours, des jours, il chemine ensuite à travers le Hainaut. Son énergie, son endurance sont incroyables. Il va, il va, mangeant n’importe quoi, dormant n’importe où, douloureux, mais non triste. Et, quoiqu’il doive s’écrier plus tard :


Ah, cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n’a voir ni pays ni amis, quelle sottise c’était !…[1]


aujourd’hui il se passionne à l’apprentissage de l’aventure ; il aime cette vie, et, dans quelques jours, il la chantera ainsi gaiement :


MA BOHÊME


Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées !
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal.
Oh là là, que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou ;

  1. Une Saison en Enfer.