Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/162

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aurois le cœur de marbre et l’estomach de fer,
Si l’ingrate oubliance y pouvoit estoufer
Le vivant souvenir de la faveur extréme
Que m’a fait recevoir, malgré le destin mesme,
Ce modelle accomply de royale douceur
Que les dieux en naissant luy donnerent pour sœur :
Et si je n’adorois son nom et ses merites,
Monstrant en mille vers ses loüanges escrites,
J’aurois mon ame en haine, et jugerois mon oeil
Indigne de joüir des rayons du soleil.
Car si quelque repos accompagne ma vie :
Si de quelque bon-heur ma fortune est suivie :
Je le tient de sa grace apres celle des cieux :
Estant comme un bel astre apparuë à mes yeux
Pour m’asseurer du calme alors que la tourmente
Autour de mon vaisseau tonnoit plus vehemente,
Sans jamais se lasser d’en combattre l’effort
Que je n’eusse abordé la franchise du port.
Aussi ramentevant l’honneur de ceste grace,
Je la beny sans cesse, et nul jour ne se passe
Que je ne face au ciel des vœux pour sa grandeur :
Le priant que sa main la comble de tant d’heur,
Qu’entre tout ce qu’on voit de plus grand sous la lune
Rien sinon sa vertu n’égale sa fortune.
Un prince est maintenant dans le tombeau logé,
À qui tant de bien-faits me font vivre obligé,
Qu’à jamais sa bonté dedans mon ame empreinte
M’en rendra la memoire et venerable et sainte :
Car lors qu’abandonné de tout humain secours,
En eternels ennuis je consumois mes jours,
Ma fortune ayant fait un malheureux naufrage
En la mort de ce prince à qui l’aveugle rage
D’un brutal assassin osa percer le flanc
D’une lame trempee en l’infernal estang :