Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/172

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Et ne peut maintenant d’un miserable pain
Le soldat qui les passe y repaistre sa faim,
S’estans en fin rendus, au bout de tant de pertes,
Les bourgs deshabitez, et les plaines desertes.

Car le renom des maux qu’exerce leur fureur
A semé tant de crainte au sein du laboureur,
Qu’aussi tost que le bruit annonçant leur venuë
Entre en quelque bourgade où leur rage est conneuë,
On voit avec le bien qui peut estre emporté
Fuir de toutes parts le peuple espouvanté,
Criant, et gemissant, et pour toute allegeance[1]
Appellant à longs cris la celeste vengeance.

L’un qui porte à son col ses enfans épleurez,
Ne sçachant où fuir, erre à pas égarez :
L’autre apres soy trainant sa brebis ou sa vache
S’enfuit dans les forests où tremblant il se cache,
Jusqu’à tant que la main des barbares pilleurs
Ait porté sa furie et ses meurtres ailleurs :
L’autre avec une voix qui tristement effraye,
Et tout sanglant encor de quelque neuve playe,
Laissant enfans et femme à leur fiere mercy,
Se vient icy sauver demy-mort et transy,
Pour trouver au retour sa fille violee,
Ou ses biens tous ravis, ou sa maison bruslee.
Maudite ambition, cause de ces douleurs,
Que ta triste semence est feconde en malheurs !

Rien n’est sacré ny sainct à ces ames barbares,
Les temples bien souvent sentent leurs mains avares ;
Monstrans qu’ils craignent peu de voller les mortels,
Puis qu’ils vollent Dieu mesme en pillant ses autels.
Le malheureux qui tombe en leur main implacable,
Autant qu’il a de bien, autant il est coulpable.
Il a contre leur chef son poignard aguisé,
Si du mal d’estre riche il se trouve accusé :

  1. Au sens d’allégement.