Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/199

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Va, plains toy maintenant que par le mesme orage
Qui doit tout submerger, quelqu’homme ait fait naufrage,
Et t’afflige de voir arriver à quelqu’un
L’accident que tu vois à tous estre commun.
Je sçay bien que ta perte estant desmesuree,
Elle ne se peut voir suffisamment pleuree,
Et qu’il n’est pas facile en un si grand malheur
D’imposer promptement silence à sa douleur :
Mais encor dois-tu ton angoisse refreindre,
Quand tu viens à penser qu’en ce qui te fait pleindre,
Le destin t’a donné les dieux pour compagnons,
Et qu’aussi bien que toy du sort nous nous plaignons.
Regarde à moy qui suis le monarque celeste,
Encor ay-je senty que peut l’heure funeste :
Encor m’a fait gemir la rigueur de son trait,
Et bien souvent outré de dueil et de regret,
Pour mes propres enfans meurtris par les allarmes,
La paternelle amour m’eust fait jetter des larmes,
Si la grandeur du sceptre enclos dedans mes mains,
Me permettoit les pleurs aussi bien qu’aux humains.
Et pource, ô belle nymphe, allege ta tristesse :
Permets que la raison ton courage redresse :
Souffre un mal necessaire, et pense qu’on ne peut
Braver mieux le destin qu’en voulant ce qu’il veut.
On fait tort à Ronsard, tant s’en faut qu’on l’honore,
Si l’on le plore mort tout ainsi que l’on plore
Ceux qui vont tous entiers dedans le monument,
Et ne laissent rien d’eux que des os seulement :
Il n’est pas mort ainsi, sa vive renommee
Survivante à sa mort rend sa gloire animee,