Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/200

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Et s’il ne vit du corps, il vit de ceste part
Qui parmy l’univers l’a fait estre un Ronsard.
Et puis, si les honneurs payez à ceux qui meurent,
Adoucissent l’ennuy des amis qui demeurent :
Ton ame a bien dequoy consoler ses douleurs,
Car si jamais trespas fut honoré de pleurs,
De pleurs meslez de chants, et de chants vrayment dignes
Tant de cygnes françois que du pere des cygnes,
Son tombeau s’en verra tellement honoré,
Qu’un dieu mort ne sçauroit estre autrement ploré !
Un temple est à Paris, dans l’enclos où commande
L’Oreste de Ronsard, son fidelle Galande :
Là se doivent trouver en vestemens de dueil,
Pour aller d’eau sacree arrousant son cercueil,
Et payer ce qu’on doit pour le dernier office,
Les plus rares esprits dont cet âge fleurisse,
À l’entour du cercueil couronnez de cyprés
Jettans au lieu de fleurs des pleurs et des regrets.
Sur le poinct de la troupe humectant ses paupieres,
Dira dessus ses os les paroles dernieres,
Je veux que mon Mercure, à l’heure vray larron
Des cœurs et des esprits, se change en Du Perron,
En ton grand Du Perron, la gloire de son âge :
Afin qu’en empruntant la taille et le visage,
Et ne paroissant Dieu sinon en son parler,
Il laisse un fleuve d’or de ses lévres couler,
Et versant dans les cœurs les doux flots de sa langue,
Prononce de Ronsard la funebre harangue :
Consacre sa memoire, et comme aux immortels
Luy face en mille esprits eriger mille autels.