Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/206

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Mais il n’a jamais peu d’une si forte bride
Retenir la fureur de l’espee homicide,
Qu’un souvenir vangeur, reveillé par un cry,
N’ait rendu le soldat cruellement aigry
Contre ce que l’effort de deux charges funestes
Avoit encor laissé de lamentables restes,
Et monstré ce que peut és mains d’un furieux
L’insolente rigueur du fer victorieux.
J’ay senty des premiers les effects de sa rage,
Par mille et mille voix animee au carnage :
Maints ont suivy mon sort, presque ne daignant pas
Apres leur chef esteint s’affranchir du trespas.
Mesme les tendres ans de mon plus jeune frere
Ne l’ont peu garantir, ains ce cry sanguinaire
L’a fait choir où son bras sur maint corps entassé,
Monstroit de sa vertu les premiers coups d’essay,
La mort entre-meslant ses cruels sacrifices,
Des fruits dont sa valeur te sacroit les premices.
Bien pouvoit le pauvret, et bien pouvois-je aussi,
Voyant nostre destin si prest d’estre accourcy,
L’allonger en fuyant ou demandant la vie,
S’il nous eust pris de vivre une si lasche envie :
Mais abhorrans celuy qui sauvé du malheur
Doit sa vie à sa fuite et non à sa valeur,
Et sçachans qu’un courage à qui l’honneur commande,
Se sent oster la vie alors qu’il la demande,
Nous avons mieux aimé finir nos tristes jours
Qu’avec si peu de gloire en allonger le cours.
Maintenant devestus de nos robes mortelles,
Nous allons augmenter de deux ames nouvelles
Le nombre des esprits qui parmy les combats
S’immolans pour leur roy sont descendus là bas.
Doncques adieu Daphnis ma richesse et ma gloire,