Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/205

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 encor la terre, et se voyoient en l’air
Les celestes flambeaux encor étinceler,
Bien que ja le retour de la prochaine aurore
Poussast les premiers rais dont le ciel se colore,
Et qu’en un char vollant à soudains mouvemens,
Promptement attelé par la main des momens,
S’avançast desja l’heure où la troupe des songes
Trompe moins les mortels des frivoles mensonges :
Quand l’un d’eux envoyé des antres du sommeil
Se vestit d’une forme et d’un geste pareil
À celuy de Lysis, puis sanglant, triste et pasle,
Ayant le chef percé d’une meurtriere balle,
Et détranché des coups de l’acier ennemy,
Gemissant s’approcha de Daphnis endormy :
De Daphnis grand heros, demy-dieu de la terre,
Qui tremblant de le voir és perils de la guerre,
Offroit pour luy sans cesse aux yeux des immortels
Mainte et mainte victime en cent divers autels :
Et luy dit, d’une voix dont les accens funebres
De lamentables sons remplissoient les tenebres :
Daphnis, mon grand Daphnis qui les larmes aux yeux
Daignes pour mon salut importuner les cieux,
Helas tu pers en vain tes pleurs et tes prieres :
Je ne suis plus vivant trois atteintes meurtrieres
M’ont jetté mort par terre en un triste combat,
Qui servit hier à Mars d’épouventable esbat,
Et de qui la fureur couvrant toute la plaine
Des sanglantes moissons de la guerre inhumaine,
A laissé peu de ceux qui pleins d’un brave cœur
Ont tasché d’arracher le laurier au vainqueur.
Maint cavalier illustre et de nom et de race,
En est resté pour preuve estendu sur la place,
Encor que la valeur du chef des ennemis
Presque contre son gré ce carnage est permis.