Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/209

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Qui vindrent tout d’un coup assaillir son courage,
Foudroyant sa vertu par ce mortel orage ?
Il en fut terrassé comme on voit sur les monts
Qui de vertes forests se couronnent les fronts,
L’éclatante fureur d’un grand coup de tonnerre
Quelquefois renverser un gros chesne par terre,
Et laisser au passant qui le voit trébuché,
Juger de quel effort ce trait fut delasché.
Soudainement ses yeux perdirent leur lumiere :
Son esprit desarmé de sa force premiere
Abandonnant les sens qu’il souloit animer,
Dedans le fort du cœur s’alla tout renfermer,
Comme un soldat quittant la bréche defenduë,
Quand il la voit forcee et la ville perduë.
Une morne pasleur sur ses lévres courut :
La parole aussi tost en sa bouche mourut,
Et tellement le dueil monstra sa violence
Qu’il sembloit que la mort en causast le silence.
Tant seulement le cœur lamentoit quelquefois,
Et lamentant parloit ce langage sans voix
Que la douleur enseigne en ses tristes écholes,
Et de qui les souspirs sont les seules paroles.
En fin quand ses esprits en leurs sens retournez
Se furent longuement au dueil abandonnez,
Et qu’apres mille cris son ame desolee
Se fut et de sanglots et de larmes soulee,
Il revint à soy-mesme, encor qu’outré de dueil :
Puis d’un soin de monarque, entr’ouvrant ce grand oeil
Qui d’infinis mortels regit les advantures,
Et voyant à travers des tenebres obscures
De tristesse et d’ennuy dont il estoit voilé,
Tant de dolents effects d’un esprit desolé
Convenir mal au sceptre à qui les destinees
Consacrerent ses mains dés leurs tendres annees,
Il voulut mettre un frein au cours de ses regrets,
Devorer ses souspirs, et de cris plus secrets
Lamenter ce desastre, encor que les attaintes
Qui luy perçoient le cœur luy permissent les plaintes :