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Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/210

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Mais vaincu du tourment qui gesnoit ses esprits,
Il ne peut tant forcer ses lamentables cris,
Qu’en monstrant ce que peut une douleur extréme
Il n’accusast les cieux, n’accusast Lysis mesme,
Et qu’encor de douleur en l’ame évanouy,
Plorant il ne luy dist comme s’il l’eust ouy :
Lysis, mon cher Lysis, la moitié de ma vie,
Et l’heur qui la rendoit de tout heur assouvie,
L’impitoyable Parque a donc fermé tes yeux
Pour ne voir jamais plus la lumiere des cieux,
Et n’ont peu les lauriers empescher que la foudre
De Mars et de la mort n’ait mis ton corps en poudre ?
Ô beau jour de printemps dont le cours du destin
Pres-qu’ensemble a conjoinct le soir et le matin,
Que la cruelle mort esteignant ta lumiere
Au poinct le plus luysant de ton heure premiere,
Precipite ma vie en de profondes nuits
Tenebreuses de dueil, de tristesse, et d’ennuis !
Ah Lysis, mon Lysis ! Et comme est-il possible
Qu’estant de nos destins la trame indivisible,
Moy vivant tu sois mort mon espoir decevant,
Et que toy rendu mort je sois resté vivant ?
Helas ! J’eusse juré par ces divines flames
Qui nous avoient fait faire échange de nos ames,
Que toy n’estant toy-mesme et ne vivant qu’en moy,
Ny moy n’estant moy-mesme et ne vivant qu’en toy,
Il m’eust fallu meurtrir pour esteindre ta vie,
Et que ton seul trespas eust la mienne ravie :
Chetif qui regardois, balançant nostre sort,
Ce que peut l’amitié, non ce que peut la mort,
Qui foulant sous ses pieds les plus fiers diadesmes,
Et d’un sceptre de fer maistrisant les rois mesmes,
Contre les vrais amis se vange sans pitié
De n’avoir nul pouvoir sur la vraye amitié.
Mort cruelle à nos cœurs que ta main desassemble,
Ciel ou cruel, ou sourd, ou tous les deux ensemble,
Qui jamais n’as daigné te laisser émouvoir
Aux vœux que ces perils me faisoient concevoir :