Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/211

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Que vous avez destruit une amitié fidelle
Rompant une union digne d’estre eternelle !
Et toy-mesme Lysis, las ! Que tu t’es rendu
Coulpable du desastre où ton cœur t’a perdu,
Mesprisant les conseils qu’un funeste presage
Me fit un jour verser en ton jeune courage,
Quand le voyant espris de la fureur de Mars
J’en retenois l’ardeur de courir aux hazards,
Et voulois qu’aussi bien logeast en ta memoire
Le soin de ton salut que celuy de ta gloire,
Depeur de voir en fin quelque plomb hazardeux
N’en ayant frappé qu’un en faire mourir deux.
Las ! Si tu m’eusses creu, ces sources miserables
Qui versent de mon chef des ruisseaux perdurables
Seroient encor des yeux ouverts pour t’admirer,
Et non des surgeons d’eau coulans pour te plorer :
Tu vivrois ô Lysis, et de ma vie amere
Tu me rendrois la course encor et douce et chere :
Mais ton mauvais genie envieux sur mon heur,
Et ceste ardente soif de loüange et d’honneur
Que le feu du courage en nos ames éveille,
Au son de mes conseils boucha lors ton oreille.
Qu’accuseray-je donc, ou le destin ou toy
De la cruelle fin qui te ravit à moy,
Puis que tu l’as cherchee, et qu’au mortel orage
Où ta seule valeur t’a fait faire naufrage,
Un aussi grand desir sembloit t’éguillonner
De recevoir la mort, comme de la donner ?
Helas il me souvient qu’alors que ces allarmes
Te separoient de moy les yeux baignez de larmes,
Et que les miens aussi ne faisoient que plouvoir
Comme s’ils n’avoient deu jamais plus te revoir :
Entre infinis serments de memoire eternelle
Qu’exige une amitié constante et mutuelle
Tu me dis, tout bruslant de la flamme d’un cœur
Qui voudroit voir son roy sur cent peuples vainqueur,
Que tu m’allois donner une preuve asseuree
De l’immortelle foy que tu m’avois juree,