Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/214

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Si ce n’est pour ton bien et pour l’amour de toy,
À tout le moins, Lysis, vy pour l’amour de moy :
De moy de qui la vie, apres la tienne esteinte,
Ne seroit jamais plus qu’une eternelle plainte.
Ainsi te dy-je alors, mais ces propos perdus
Furent emmy les vents sans effect espandus.
Cependant j’esperois qu’une heureuse victoire
Te renvoyroit bien tost grand de nom et de gloire :
J’ouvroy desja mes bras à ce futur accueil,
Et voila maintenant qu’on m’apporte un cercueil
Au lieu des doux lauriers qu’on m’en faisoit attendre,
Et pour toy ma chere ame un peu de froide cendre.
Ô douloureux retour ! ô malheureux depart !
Ô penser qui mon cœur perces de part en part !
Ô Lysis, et faut-il qu’une seule journee
Ait si piteusement changé ta destinee,
Que tant de riches dons de nature et des cieux
Recueillis comme fleurs par la dextre des dieux
Dans les sacrez jardins des beautez et des graces,
Pour te faire admirer, non à des ames basses,
Mais aux plus élevez et plus nobles esprits,
Ne soient plus maintenant qu’une poudre sans prix
Que l’eternelle nuict dans la tombe reserre,
Et ton nom si fameux le nom d’un peu de terre ?
Ô cruel changement ! Toy seul peux faire voir
Que la rigueur du sort égale son pouvoir.
Ah qu’il me seroit doux en ce dueil miserable,
Que pour plorer mon mal autant qu’il est plorable,
Une infinité d’yeux au sommeil indontez
Me fussent maintenant dedans le chef entez,
Par où ma triste vie en larmes écoulee
Veist ma peine et ma perte en plaintes égalee,
Et le sang que Lysis a respandu pour moy
Paye d’autant de dueil qu’en merite sa foy !
On dit qu’il croist des fruits sur la rive d’un fleuve
Qui sous un nouveau ciel baigne une terre neuve,