Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/215

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Dont qui gouste une fois ne voit jamais tarir
Les ruisseaux de ses pleurs qu’au seul point de mourir.
Helas, pleust-il aux dieux que ces fruits porte-larmes
M’eussent remply le front des effects de leurs charmes,
Afin qu’en lamentant je peusse jours et nuits
Fournir jusqu’au tombeau de pleurs à mes ennuis,
Et comme un cœur dolent d’où la joye est ravie,
Sacrifier au dueil les restes de ma vie.
Mais helas ! Veu le poinct où m’ont reduit les cieux,
Pour plorer mon tourment c’est trop peu que les yeux :
Il faut que le cœur mesme attaint de ces alarmes
Se fonde tout en sang aussi bien qu’eux en larmes :
Encor, eussé-je au front autant d’yeux larmoyans
Comme les cieux la nuit en ont de flamboyans,
Et mon cœur versast-il par autant de fontaines
Son propre sang conjoint à celuy de mes veines,
Mes larmes ne sçauroient égaller ma douleur
Ny ma douleur non plus égaller mon malheur.
Ah ! Pourquoy n’a permis cet absolu monarque
Qui seul donne des loix aux fuseaux de la Parque,
Que le mesme combat qui tes jours a finis
Sous un peril commun nous ait ensemble unis !
Tu ne serois point mort, ô ma chere esperance,
Ou le serois au moins avec quelque vengeance.
Car quand un diamant eust armé tout-autour
Celuy qui t’a privé de la clarté du jour,
S’il eust outrepercé la douleur qui m’anime,
Et fait que ton meurtrier eust esté ta victime.
Puis revenant à toy de qui peut estre alors
L’ame n’eust point encor abandonné le corps,
J’eusse au moins de mes doigts ta paupiere fermee
Quand la mort l’eust du tout de flammes desarmee :
À tes derniers souspirs mes souspirs confondant,
Dans ton sang épandu mes larmes épandant :