Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/229

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Plus leur contrainte émeut de tempeste és rivages,
Et rend ces costes-là fameuses de naufrages.
Dieu ! Quel trait de douleur par la mort élancé
Rendit de part en part son cœur outrepercé,
Quand il en veit le corps froid, insensible et palle,
S’endormir pour jamais sur sa couche royale,
Et monstrer par la nuict qui luy bandoit les yeux,
Qu’elle ne vivoit plus qu’ainsi qu’on vit és cieux.
Son esprit invincible à tant d’autres tristesses
Qui de sa fermeté battoient les forteresses,
Rendit alors la place à l’ennuy son vainqueur,
Et la douleur alors triompha de son cœur.
Si bien que le soleil acheva trois carrieres
Devant que sa constance essuyast ses paupieres,
Ou qu’elle obtint du dueil dedans son ame enclos
Qu’il peust former un mot non coupé de sanglots,
Son courage forcé par une angoisse extresme
Cedant à la douleur l’empire de soy-mesme.
Ah ! (disoit en plorant la voix de ses souspirs)
Remede et reconfort de tous mes déplaisirs,
À qui je doy mon sceptre, à qui je doy ma vie,
Quel destin ennemy t’a du monde ravie,
Au temps que la tempeste et l’orage croissant
Qui va de tous costez la France menaçant,
Rendoit plus que jamais contre mes adversaires
Ta vie et tes conseils à l’estat necessaires ?
Helas ! Divin esprit, la fuite de tes jours
Trop tost pour nostre bien a terminé son cours.
Car encor que ta vie, au monde assez illustre,
Ait passé de deux ans son quatorziesme lustre,
Et qu’à conter tes ans par tes faicts genereux
Nul n’ait attaint ton âge és siecles plus heureux :
Si n’est-ce guere vivre au desir de nos ames,
Presageant la fureur de ces civiles flames :
Et voit-on bien aux maux qui nous donnent la loy,
Que c’est trop peu pour nous, si c’est assez pour toy.