Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/230

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Car à qui plus pourray-je avec tant d’asseurance
Bailler à soustenir le grand sceptre de France,
Lors que sa pesanteur me venant rendre las
Me permettra d’user de l’exemple d’Atlas ?
À qui fieray-je plus ces secrettes pensees
Que tant de grands soucis m’ont au cœur amassees,
Et qui pour leur conduite auroient besoin des yeux
Que ton clair jugement avoit receus des cieux ?
Qui me donnera plus ces conseils salutaires,
Dont le fil a conduit le pas de tant d’affaires
Parmy le labyrinthe et les cachez destours
Où la guerre intestine a consumé tes jours ?
Toy seule en conseillant ou consolant mon ame
Quand l’ennuy qui le cœur des plus grands rois entame
Me livrant quelque assaut m’accabloit de tourment,
Me le faisois ou vaincre, ou souffrir constamment :
Au lieu que ton trespas arrache de ma vie
Tout l’heur dont mon repos estoit digne d’envie,
Me laissant icy bas au milieu des ennuis
Sans flambeau qui m’esclaire en si profondes nuits.
Mes plus doux chants de joye en si rudes attaintes
Sont changez par ta mort en funebres complaintes :
Les verdoyans lauriers que tant d’heureux succés
M’ont plantez sur le front en sont devenus secs :
Je voy de jour en jour mon empire décroistre :
L’astre de mon bon-heur ne se fait plus paroistre :
Mon sceptre autrefois d’or est maintenant de fer,
Et desplait à la main qui l’a fait triompher.
Hé ! Qui me pourroit plaire en ceste angoisse extréme
Où ta mort m’a rendu déplaisant à moy-mesme ?
Helas ! Elle a de moy tout plaisir estrangé,
Et puis dire à bon droit qu’elle seule a changé
Ma couronne de fleurs en couronne d’espines,
Et fait seicher mes lys jusques à leurs racines.
Ah ! Que n’est-il permis aux malheureux humains
De rompre ou de trancher avec leurs propres mains
Les liens odieux dont leurs ames gesnees
Sont contre leur vouloir à leurs corps enchainees :