Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/235

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Plus de desir de voir son empire fleurir
Qu’en celuy que ton bras alloit faire mourir,
Prince qui constamment l’avoit tousjours suivie,
Et cent fois pour sa gloire abandonné sa vie ?
Ah tigre sans pitié, si cet esprit brutal
Que la tienne enfermoit en un cœur de metal,
Eust de quelques raisons animé sa pensee
Au sacrilege effort de ta dextre insensee,
L’image de la France, et celle de la foy
Qu’exposoit au peril la mort d’un si grand roy,
Hideusement couverte et de sang et de flame
Eust alors repassé devant l’oeil de ton ame :
Et faisant recognoistre à tes sens inhumains
Que le fer parricide armant tes fieres mains
Les poussoit dans le feu d’une eternelle guerre,
L’horreur de tant de maux eust fait tomber à terre
Ce malheureux acier en enfer aiguisé
Qui du sang de ton prince alloit estre arrousé.
Mais, cruel, pour oser un coup si detestable,
Nul discours de raison ny d’ame raisonnable
N’entra dans ton esprit, qui te fist embrasser
Sous l’image d’un bien un si meschant penser.
Te sentant bourrelé de l’invisible geine
Qui fait avoir la vie et les vivans en heine,
Quand de quelque forfait les angoisseux remords
Donnent au cœur coulpable un million de morts :
N’esperant pas trouver en la mer de clemence
Assez d’eau de pitié pour laver ton offence :
La clarté du soleil à regret regardant :
Et voulant insensé tout perdre en te perdant,
Tu conceus en ton cœur ce dessein execrable,
Rendant l’audace humaine au ciel mesme effroyable.
Ou bien, si conduisant d’un pas desesperé
Ta malheureuse vie au trespas asseuré,
La meurtriere fureur troublant ta fantasie
Forma quelques discours dedans sa frenaisie
Mourons (dis-tu cruel) et fuyons au tombeau
L’odieuse clarté du celeste flambeau :