Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/236

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Mais voulons-nous mourir d’une mort incogneuë ?
Non, non, que tout esprit habitant sous la nuë,
Que le ciel, que l’enfer en cruauté vaincu
Sçachent par nostre fin que nous avons vescu :
Surmontons Erostrate imitans son exemple :
Il ne perdit qu’Ephese, il ne brusla qu’un temple,
Nous, renversons la France : et quel plus beau cercueil
Se sçauroit élever l’ambitieux orgueil
D’un cœur qui rien que gloire et grandeur ne respire
Que d’enterrer sa cendre és cendres d’un empire ?
Sus sus, erigeons-nous un fameux monument
Es ruineux monceaux d’un si grand bastiment.
Tant soit avantureux ce que nostre ame embrasse,
Il est en son pouvoir, s’il est en son audace.
Allons, et de ce fer gravons dans les esprits,
Que quiconque a sa vie en horreur et mespris,
Quelque petit qu’il soit, il se peut dire maistre
De celle du plus grand que le ciel ait veu naistre.
Ainsi dis-tu, meurtrier, si le cruel dessein
Qu’un desir de mourir t’engendra dans le sein,
Avec quelques discours s’encouragea soy-mesme
À tremper dans le sang un si sainct diadesme.
Mais seroit-il bien vray que l’insensible acier
D’un cœur où s’enfermoit un esprit si grossier,
Peust former des propos ressentans un courage
Plein d’une ambitieuse et magnanime rage,
Que le tremblant effroy d’un asseuré trespas
En son meschant dessein n’espouventeroit pas,
Pourveu qu’un jour son nom remplist toute une histoire,
Et que sa propre mort fist vivre sa memoire ?
Non, il n’est pas croyable : un plus lasche discours
T’a fait estre la honte et l’horreur de nos jours :
Mais s’il te fut versé dans l’ame par l’oreille,
Ou si le mesme esprit qui les vices conseille
L’ayant fait naistre en toy, ton cœur ja disposé
Fut depuis à poursuivre ardemment embrasé :
Le ciel, le juste ciel, protecteur des couronnes,
Le sçait pour le malheur de ces ames felonnes,