Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/244

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Mais, helas ! J’ay grand’peur que ce juste desir
Dont maintenant tu sens la flamme te saisir,
Ne soit lors malgré toy retenu de produire
Les effects du penser que l’on voit y reluire :
Tant je prevoy de maux s’opposer à tes vœux,
Et pour esteindre en fin tous ces rebelles feux,
Te contraindre à noyer dedans l’eau d’oubliance
Ceste injure, et la tienne, et celle de la France.
Ainsi dy-je accusant mon propre jugement :
Comme un qui sçachant bien qu’il se plaint justement,
Ne sçait en la douleur dont il se sent attaindre,
De qui c’est que sa voix justement se peut plaindre.

COMPLAINTE

Ce n’est point pour moy que tu sors,
Grand soleil, du milieu de l’onde :
Car tu ne luis point pour les morts,
Et je suis du tout mort au monde :
Vif aux ennuis tant seulement,
Et mort à tout contentement.
Aussi fuy-je à voir ton flambeau,
Depuis qu’un exil volontaire
M’enterra comme en un tombeau
Dans ce lieu triste et solitaire,
Où les vers de cent mille ennuis
Me rongent les jours et les nuits.
Or sens-je combien les plaisirs
Sont amers à la souvenance,
Lors qu’en conservant les desirs
Nous en perdons la jouïssance,
Et de combien n’avoir point eu
Est plus doux que d’avoir perdu.