Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

 ma seule gloire et mon bien
Qui n’es plus qu’un petit de poudre,
Et sans qui je ne suis plus rien
Qu’un tronc abattu par la foudre,
De quel point de felicité
Ton trespas m’a precipité !
Helas ! Au lieu que toy vivant
Nul ennuy ne me faisoit plaindre,
Un tel heur alors me suivant
Que j’esperois tout sans rien craindre,
Maintenant reduit à plorer
Je crains tout sans rien esperer.
Mais que peut craindre desormais
Quelques maux dont la vie abonde,
Un cœur miserable à jamais
Qui n’a plus rien à perdre au monde,
Et qui vivant desesperé
Vit à tout malheur preparé.
Non non, ton trespas m’a rendu
D’espoir et de crainte delivre :
En te perdant j’ay tout perdu :
Je ne crain plus rien que de vivre :
Vivre encor est le seul malheur
Qui peut accroistre ma douleur.
Car gemissant dessous le faix
Dont m’accable une peine extrême,
Et survivant comme je fais
À tout mon heur voire à moy-mesme,
Vivre m’est comme un chastiment
D’avoir vescu trop longuement.

SUR