Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/248

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Et veit ainsi languir les flammes de son oeil :
Ô mon cœur (luy dit-il) reviens-tu du cercueil,
Fantosme desirable à mon ame affligee,
Pour voir en quels ennuis ta mort l’a submergee ?
Ou jouïssante encor de la clarté des cieux
Viens-tu pour estancher les larmes de mes yeux,
Toy-mesme leur prouvant par ta douce presence
Qu’encor en ce beau corps l’ame fait residence,
Et que les bruits courans qui dolens messagers
Ont publié ta mort, sont faux et mensongers ?
Mon ame (respondit animant sa parole
La foible et triste voix de ceste aimable idole)
Un faux bruit de ma mort n’a point deceu ton cœur :
J’ay senty du trespas la meurtriere rigueur :
Mon corps n’est plus que terre : et ces yeux dont la flame
Sembloit donner la vie et le jour à ton ame,
D’une eternelle nuict en la tombe couvers
Ne sont plus maintenant que le repas des vers.
Accident qui tesmoigne aux hostes de ce monde
Combien faux est l’espoir de l’ame qui s’y fonde,
Puis que rien n’est durable en ce traistre sejour :
Que la gloire y fleurit et s’y passe en un jour :
Que la pompe et l’orgueil des beautez de la terre
Qui luit comme de l’or, se rompt comme du verre :
Et que la mort triomphe, en te privant de moy,
De ce qu’amour faisoit triompher d’un grand roy.
Mais bien que je sois mort en l’avril de mon âge,
Lors qu’un grand heur present, et l’asseuré presage
D’un plus grand à venir favorisant mes jours,
Me faisoit desirer d’en prolonger le cours :
Si n’ay-je rien laissé de tant d’heur et de gloire,
Qui blesse de regret ma dolente memoire,
Et cause les souspirs au tombeau me suivans,
Que toy, mon seul espoir, et les gages vivans