Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Qui te restans de moy sont pour marque asseuree
De la parfaicte amour dont tu m’as honoree.
Vous seuls je vous lamente au milieu du repos
Qui fait dormir en paix mes insensibles os,
Non faveurs, ny grandeurs, ny gloire, ny richesse
Dont le bien de ta grace ait comblé ma jeunesse.
Mais en me desolant d’estre absente de toy,
Je beny d’autre part la saincte et juste loy
Du suprême destin qui regit cet empire,
Et qui veut qu’en repos desormais il respire,
De n’avoir point souffert que l’extréme tourment
Qui pour ma seule mort t’afflige incessamment,
T’ait contraint de me suivre, ains de promettre au monde
Que le cours d’une vie illustrement feconde
En tout l’heur qui sçauroit un prince accompagner,
Te fera longuement sur la France regner,
Victorieux, paisible, admiré par la terre
Pour les arts de la paix et pour ceux de la guerre :
Penser que ma douleur a pour seul reconfort,
Et qui fait qu’en errant és ombres de la mort
Je ne craindrois rien plus que d’estre accompagnee
De ceux dont j’ay regret de me voir esloignee.
Vy donc heureux au monde, et moy veufve du jour
Je m’en vois cependant habiter le sejour
Où reposent en paix francs de soins et de peines
Les esprits devestus de leurs robbes humaines :
Contente d’avoir peu, devant qu’y sejourner
Pour jamais plus apres libre n’en retourner,
Voir encore ta face, et te dire moy-mesme
Le triste adieu dernier, que d’une lévre blesme
En mourant je priay les tesmoins de ma mort
De te dire en mon nom, puis que l’injuste sort
Qui m’avoit sans sujet ta presence ravie,
Privoit de ce bon-heur les termes de ma vie.
Que si mes humbles vœux en larmes prononcez
Peuvent se voir encor de ton ame exaucez :
Par nos feux qui brusloient d’une flame si pure,
Et par ta propre foy, je te prie et conjure