Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/251

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 suis et seray tien jusqu’aux fins de mon âge,
Sois-tu cendre et poussiere : et seulement l’image
De ton oeil, bien qu’esteint et vaincu du trespas,
Pourra plus dessus moy, que les riants appas
De toutes les beautez qui se plairont à tendre
Des filets à mon ame afin de la surprendre.
Je n’estois plus sensible à nul bien ny tourment
Qu’on reçoive d’aimer, que pour toy seulement :
Et ton oeil a bruslé dans le vif de sa flame
Tout ce que j’avois plus de bruslable en mon ame.
Les myrtes sont pour moy transformez en cyprez :
Amour n’a plus de laqs, de flammes ny de traits
Qui puissent rien sur moy, son trophee est par terre :
La mort, et non l’amour seule fera la guerre
Desormais à mon cœur, et mes ans malheureux
Me verront seulement de la tombe amoureux,
La tombe maintenant estant l’unique hostesse
Du feu qui me brusloit et bruslera sans cesse.
Helas ! Quelle beauté pourroit tant me charmer
Qu’apres toy ma chere ame il me pleust de l’aimer ?
Où trouverois-je plus ces vivantes merveilles,
Qui parfaites en toy n’avoient point de pareilles ?
Ce teint, ce poil, cet oeil et ces autres beautez
Sorcieres de mes sens par mes yeux enchantez,
Qu’il ne falloit que voir pour excuser ma vie
D’estre aux loix de l’amour si long temps asservie !
Tu m’estois comme un port où mon esprit lassé
Des flots dont cet estat s’est veu bouleversé,
Prenoit quelque relasche, et d’où plein de courage
Il retournoit encor s’opposer à l’orage :
Tu sçavois mes desirs, tu sçavois mes desseins :
Mon cœur ne respiroit qu’entre tes seules mains,