Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/267

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N’a pas long temps vescu, mais longuement esté.
Ainsi vit quelque chesne à qui l’honneur de l’âge
Acquiert la primauté des arbres d’un bocage :
Mais malheureux celuy qui privé d’un beau nom
Vivant laisse ignorer s’il est vivant ou non.
Puis ta belle memoire encor vive sur terre
À ta cruelle mort fait sans cesse la guerre,
Et ja triomphe d’elle au cœur de la beauté
Qui dans les fers d’amour pressa ta liberté.
C’est celle qui rendant ta memoire ainsi vive,
Garde qu’à l’eau d’oubly jamais elle n’arrive :
Et fait que ton renom affranchy du tombeau
Volle plus que jamais au monde entier et beau.
Elle auroit volontiers à ta cendre bruslee
Fait son propre estomach servir de mausolee,
Mais la loy du cercueil s’opposant à son vœu,
À faute de ta cendre elle boira ton feu.
Je dy ce feu divin d’amour sainte et parfaite
Qui vivant te brusloit d’une flame secrette :
La raison commandant qu’un feu dont la vigueur
S’engendra de son oeil, se conserve en son cœur.
Las ! Si tost que ta mort luy touche la pensee,
Elle plaint et lamente, et de dueil oppressee
Maudit autant la Parque en ses funebres cris,
De ne la prendre pas, comme de t’avoir pris.
Elle reproche au ciel un coup si deplorable :
Et souvent ne sçachant en son cœur miserable
Que c’est qui comme cause en doit estre accusé,
Elle en accuse tout comme l’ayant causé.
Mais conter les propos que sa plainte souspire,
Il n’appartient à nul de tout ce grand empire
Que la sphere de l’air ceint d’un si large tour,
S’il n’est plus qu’eloquent en la langue d’amour.
Ainsi plorent les dieux, si l’on peut sans blasphême
Prononcer que l’amour fait pleurer les dieux mesme :
Ses eternels souspirs son dueil vont tesmoignant,
Et servent de parole à son cœur se plaignant :