Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais moy qui de nature, et par un long usage,
Des souspirs amoureux entens bien le langage,
J’apprens d’eux qu’un amant, en ce siecle si faint,
Vivant fut bien aymé qui mort est ainsi plaint.

DE MADAME LUGOL

Icy repose en paix la despoüille mortelle
D’une ame que le ciel forma sur le modelle
Du plus parfait esprit et plus riche en vertu
Que le corps d’une dame ait jamais revestu :
Ame qui ne sembloit habiter sur la terre
Que pour mener au vice une eternelle guerre,
Et monstrer aux esprits errants en ces bas lieux
Comme il faut vivre au monde afin de vivre aux cieux,
Tant l’honneur qui luisoit és charmes de sa grace
L’esloignant des defauts d’une ame vile et basse,
Allumoit en son cœur de genereux desirs,
Et luy faisant haïr les vicieux plaisirs,
Ornoit par sa beauté conjointe à sa sagesse,
Des fruits de sa vertu la fleur de sa jeunesse :
Fruits que l’injuste sort n’a point laissé meurir,
Fleur qu’en son beau printemps la Parque a fait mourir,
Depeur que sa vertu croissant quand et sa vie
N’acquist l’estre immortel dont la gloire est suivie
Au corps qu’elle animoit, et n’affranchist ses ans
Du tribut que la mort prend sur tous les vivans.
Aussi vit-on qu’en crainte, et d’une main tremblante
Elle arracha de terre une si belle plante,
Et monstra qu’esteignant ce rayon de beauté
Elle avoit en horreur sa propre cruauté.
Bien qu’elle ne confesse avoir esté cruelle
À nul sinon à ceux qu’elle a separez d’elle,
Non à ce bel esprit qui d’un vol plus dispos
Est entré par la mort au celeste repos,