Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/289

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Ne recognois-tu point l’erreur où tu te plonges
T’en allant enquerir au pere des mensonges ?
Les demons sont trompeurs, le vray leur sert d’appas,
Car ils veulent tromper quand ils ne trompent pas :
Rien n’estant si plaisant à leur traistre nature
Que de faire icy bas regner quelque imposture,
Vestir un faux visage, et paistre le desir
D’une fausse esperance ou d’un faux desplaisir.
J’en conserve pour preuve au sein de ma memoire
Le dolent souvenir d’une sanglante histoire
Dont mon oeil fut tesmoin, et de qui le penser
Ne me peut sans douleur en l’ame repasser.
Et quelle, dist Timandre, attaint de ceste envie
Que la faim de sçavoir ne vit onc assouvie.
Pendant, respondit-il, qu’un soin infortuné
Me tenoit en Scandie ainsi comme enchainé,
Je cogneu là Gernande, homme que sa vaillance
Avoit fait esprouver aux armes de la France,
Mais qui deferant trop aux prestiges menteurs
De ces chiffres, liens, et miroirs enchanteurs,
Monstroit que son esprit, ailleurs constant et sage,
Suivoit en fermeté de bien loin son courage.
Ce cavalier nourry de ses plus jeunes ans
Aupres des rois de Dace entre leurs courtisans,
Non aux vains passetemps d’une noblesse oisive,
Mais aux plus dures loix que l’honneur nous prescrive,
Eut pour espouse Aimonde, une jeune beauté
De qui si la constante et chaste loyauté
N’eust point veu sa vertu d’imprudence suivie,
Une mort plus heureuse eust terminé sa vie :
Mais son cœur mesprisant la gloire d’assembler
Au soin d’estre innocent celuy de le sembler,
L’histoire du malheur qui causa son naufrage
La fist trouver en fin plustost chaste que sage.
Contre ceste beauté s’armoit secretement
Des poignans eguillons d’un fier ressentiment