Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/293

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 la mesme peur dont se voit empescher
L’homme qui sent son mal et qui n’oze y toucher.
Car l’ayant exhortee à conserver la gloire
Que ses vertus sembloient promettre à sa memoire,
Et fuir les sujets qui paroissent fournir
De matiere aux esprits cherchans de la ternir,
Il luy fist quand et quand obscurement entendre,
Avec quelle couleur on la pouvoit reprendre
Du trop de privauté que sans s’en indigner
Entre elle et son Adee il enduroit regner :
Bien qu’il en sceust plusieurs voyans sa patience,
En admirer plustost que louër le silence :
La priant pour la fin non de plus ne le voir,
Mais de regler sa veuë aux loix de son devoir :
Aymer sa renommee, et par estre imprudente,
Ne perdre point le bien de paroistre innocente.
Ces mots ainsi remplis d’une douce rigueur,
Si quelque bon demon eust conseillé son cœur,
La pouvoient advertir que d’estranges orages
S’enfantent bien souvent de semblables nuages :
Et qu’en de tels propos un mary se forçant,
Celuy qui tant en dit, en va bien plus pensant.
Mais elle qui croyoit n’estre à rien redevable
Par les loix de l’honneur fors qu’à vivre incoupable,
Non à s’estre cruelle, et priver son desir
De ce qui sans offence aporte du plaisir,
Par crainte d’exciter les injustes murmures
D’un peuple qui ne parle et ne croit qu’impostures :
Elle dy-je sans coulpe et qui sentoit en soy
Nulle sienne action n’avoir rompu sa foy,
Monstra lors par effect qu’en se voyant reprendre
Souvent l’integrité ne se daigne deffendre.
Mais ne respondant rien, et prouvant sa douleur
Par mille changements de geste et de couleur