Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/292

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L’amour n’allumoit point en leurs libres esprits
Les desirs violents dont ils estoient épris :
Mais la seule amitié qu’avec ses pures flames
La semblance des mœurs engendre és belles ames,
Quand encor la vertu serrant leur liaison,
Ce qui plaist par nature est aymé par raison.
Cependant ils vivoient en ces chastes delices
Sans aucun sentiment des amoureux supplices,
Avec tant de franchise et tant de privauté,
Qu’encor qu’un saint lien d’estroicte parenté
De qui le ferme neud conjoignit leurs naissances,
Les semblast garantir du trait des medisances,
Quiconque eust ignoré quel estoit leur penser,
Avec juste couleur eust peu s’en offencer.
Aussi s’en offençoit l’ignorance publique,
Y pensant voir reluire une flame impudique.
Et mesme le mary, bien que le chaste soing
Du cœur de son espouse eust le sien pour témoing,
Ne peut tant maistrizer ceste odieuse crainte,
Qu’il n’en sentist par fois quelque secrette attainte :
Mais fuyant et le mal et le nom de jaloux,
Mal qui blessant le cœur d’imaginaires coups,
Se cache avec douleur, se descouvre avec honte,
Et dont mieux se guerit qui moins en fait de conte,
Il masquoit d’un mespris ce qui l’en offençoit,
Monstrant d’y moins penser quand plus il y pensoit :
Et souvent en ces maux nyoit toute creance
Aux soupçons qui sembloient leur donner accroissance.
Jusqu’à tant qu’à la fin ne pouvant plus celer
Ce qu’en vain sa raison pensoit dissimuler,
Et devant sa playe une ulcere profonde,
Il en versa la plainte aux oreilles d’Aimonde :
Mais avec un discours qui plus la disposoit
À s’esloigner du mal qu’il ne l’en accusoit :
Et qui presque joignant sa fin à son exorde
Monstroit bien qu’il touchoit ceste odieuse corde
Avec