Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/301

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Il vouloit redoubler, mais la trouppe arrivee
Retint sa main sanglante au coup desja levee,
Et l’arracha de là tellement forcené,
Que si quelque fort bras ne l’eust point destourné,
Il alloit aux deux morts adjouster la troisiesme,
Et ja meurtrier d’autruy l’estre encor de soy-mesme.
Dessein qui sans relasche occupant ses esprits,
Faisoit qu’il n’oyoit point, ou mettoit à mespris
Les conseils que la trouppe autour de luy reduitte
Luy donnoit de chercher son salut en la fuitte.
Cependant le tumulte et le bruit gemissant
Dont le sein du logis alloit retentissant,
Tira le magistrat sur le sueil de la porte,
Comme il passoit devant ceint d’une grande escorte,
Qui voyant à l’entree un corps mort estendu
Baigner tout le pavé de son sang espandu,
S’enquerant de sa mort, et cognoissant Adee,
Et sçachant de quel bras elle estoit procedee,
Porté de son devoir penetra plus avant :
Jusqu’à tant qu’à grands pas son chemin poursuivant,
Il trouva sur un lit la miserable Aimonde
En deux sources de sang piteusement feconde,
Par ses flancs entamez verser l’ame à grands flots,
Entre les cris des siens s’estouffants de sanglots,
Et son meurtrier Gernande au milieu d’autres larmes
Prest à s’oster la vie avec ses propres armes,
Chacun lors condamnant, mais sans aucun effect,
Et ce qu’il vouloit faire, et ce qu’il avoit fait.
Le respect qui suivoit une si noble teste
Calma dés qu’il entra, ceste triste tempeste :
Il se fait un silence, on desarme la main
Du meurtrier insensé de son fer inhumain :
Luy doucement severe apres mainte demande
À quoy seul respondoit l’infortuné Gernande,