Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/300

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De honte, de fureur, de haine, et de depit
Déchirerent ses flancs : et l’outrage rompit
Tous les plus saints liens dont l’amitié passee
Avoit jusques alors retenu sa pensee.
Aussi faisant paroistre és paleurs de son teint
Duquel coup dedans l’ame il se sentoit attaint,
Et d’un oeil egaré regardant la sorciere,
Avec un grand soupir, adieu, dist-il, Ogiere,
C’est assez, j’ay trop veu : qu’eussent voulu les cieux
Me faire naistre au monde insensible ou sans yeux.
Ayant ainsi parlé, plein du mal qui le domte,
Il remonte à cheval ne pensant qu’à sa honte,
Rentre dedans la ville, et seul par un destour
Se porte à la maison qu’il avoit pour sejour,
Où (comme sa fureur du malheur fut guidee)
Le premier qu’il trouva ce fut le pauvre Adee,
Qui seul avec Aimonde ayant pris quelque temps
Les innocents plaisirs dont ils vivoient contens,
S’en retournoit chez soy sans penser à l’envie
Que le destin portoit aux aises de sa vie.
Le voir : mettre l’espee aussi tost en la main :
D’un puissant coup d’estoc luy transpercer le sein :
Et dans son propre sang rendre sa vie esteinte,
Ce ne fut qu’un moment, tant dure fut l’attainte.
Un grand cry se leva : luy poursuivant ses pas
Pour joindre crime à crime et trespas à trespas,
S’avança vers Aimonde, et de la mesme rage
Qui venoit de plonger sa fureur au carnage,
Avec la mesme espee encor chaude de sang
Luy perça d’outre en outre et l’un et l’autre flanc :
Dont jettant de hauts cris, ah ! Dit-elle, Gernande,
Que fais-tu malheureux ? Quel esprit te commande ?
Las ! En me meurtrissant d’un si barbare effort,
Apprens moy pour le moins la cause de ma mort.
Ah ! Méchant cœur, dit-il, et digne d’estre en cendre,
Nul icy mieux que toy ne te le peut apprendre :
En te donnant la mort t’en suis juste donneur :
J’oste à bon droit la vie à qui m’oste l’honneur.