Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/318

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Ne scachants rien encor de ses meschantes trames,
Ny de l’art abuseur qui regne és grecques ames :
Luy donc poursuit ainsi, pipant les escoutans
D’un parler et d’un cœur feintement tremblotans.
Souvent le camp Argive assis en cette terre,
Ennuyé des travaux d’une si longue guerre,
S’est voulu retirer, quittant finablement
Les remparts d’Ilion assiegez vainement.
Et voulussent les dieux qu’ainsi l’eust-il peu faire ?
Mais souvent la tempeste, ou le vent trop contraire
Menassant nos vaisseaux d’un naufrage asseuré,
Nous a ravy le poinct du retour desiré.
Mesme lors que le ciel desja peu favorable
Veit ce cheval basty de grand’s poultres d’erable,
Maint sonnant tourbillon ne cessa jour et nuit
D’emplir l’air et la mer de tempeste et de bruit.
Dont craignans quelque dieu nous estre pour obstacle,
Nous avons Eurypyle envoyé vers l’oracle :
Luy soudain de retour malgré l’ire des flots,
Nous en a rapporté ces durs et tristes mots :
Le sang d’une pucelle offerte en sacrifice
Vous rendit en venant le vent doux et propice,
Et par le sang d’un grec derechef espandu,
Il vous faut impetrer le retour attendu.
Ceste horrible response ayant esté semee
Dans l’oreille des chefs, et des grands de l’armee,
Soudain les plus hardis, frappez d’estonnement,
Ont senty le glaçon d’un secret tremblement
Se couler dans leurs os, et courir par les veines :
Incertains qui c’estoit, de tant d’ames humaines,
Que demandoit encor la voix des immortels,
Pour baigner de son sang le pied de leurs autels.
Là dessus, l’ithaquois qui ma perte consulte,
Tire au milieu du camp avec un grand tumulte
Le prophete Calchas, le pressant de nommer
Celuy que le trepied requiert sans l’exprimer :
Et desja, descouvrants son cruel artifice,
Plusieurs voyoient sur moy tomber ce sacrifice.