Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais tirant un souspir du centre de son cœur,
Las ! Fuy-t’en, me dit-il, tranche toute longueur,
Fuy-t’en, fils de deesse, et quittant nos pergames,
Ravy-toy promptement à ces cruelles flames.
L’ennemy tient nos murs : les superbes sommets
Du fameux Ilion vont tomber pour jamais.
La patrie a receu ce qu’on luy devoit rendre.
Si les rempars troyens eussent peu se defendre
Par le tranchant du fer, et par un bras humain,
Les cieux les eussent veus defendus par ma main.
Troye icy te commet ses plus sainctes reliques,
Ses mysteres sacrez, et ses dieux domestiques :
Pren-les pour compagnons de tes destins futurs,
Et va sous leur faveur chercher de nouveaux murs,
Qu’en fin tu bastiras et grands et de duree,
Ayant long-temps erré dessus l’onde azuree.
Ainsi me parle l’ombre apparuë à mes yeux,
Mettant entre mes mains et les rubans des dieux,
Et la puissante Veste, et la flamme eternelle
Que de son sanctuaire elle emporte avec elle.
Cependant, en l’enclos qu’enferment nos remparts,
Les plaintes et les cris hurlent de toutes parts :
Et bien que la maison par Anchise habitee
Ceinte d’arbres divers soit du peuple écartee :
Tousjours de plus en plus ce bruit s’éclaircissant,
Et l’horreur du harnois va l’ame saisissant.
Je secoüe en sursaut le sommeil qui me dompte,
Et du plus haut du toict, qu’en courant je surmonte,
Je tends l’oreille au bruit, au bruit à qui l’ardeur
De tant de feux mesloit son horrible splendeur.