Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/326

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Et comme un don celeste enchanteur de nos peines,
Avec plus de douceur ramper dedans les veines :
Quand me tenant lié ce doux charme des dieux,
Hector se vint en songe opposer à mes yeux,
Triste, espandant des siens une double riviere,
Et soüillé tout autour de sang et de poussiere,
Comme si de nouveau deux coursiers attelez
Eussent trainé son corps sur nos champs desolez,
Tel que le veit un jour la muraille de Troye,
Estants ses pieds enflez percez d’une courroye.
Helas ! Bien different de ce qu’estoit jadis
Ce valeureux Hector l’effroy des plus hardis,
Alors qu’il retournoit de la fiere meslee,
Revestu du harnois du grand fils de Pelee :
Ou que tenant les grecs en leurs nefs enfermez,
Vainqueur il y lançoit mille feux allumez.
Sa barbe herissee estoit pleine de crasse :
Ses cheveux non peignez luy tomboient sur la face
Tous congelez de sang, et paroissoient alors
Sur sa teste poudreuse et sur son palle corps
Mille coups dont sa chair avoit esté meurtrie,
Combattant pour les murs de sa chere patrie.
Un si piteux object m’excitant à plorer,
Ma langue me sembla ces mots luy proferer :
Ô le fidelle espoir, et la vive lumiere
Des teucres garantis par ta dextre guerriere,
Quel sujet t’a de nous si long temps absenté ?
De quel lieu reviens-tu tant de mois souhaité ?
Helas ! Apres combien de tristes funerailles
De tes plus chers parents terrassez és batailles,
Apres combien d’ennuis et de maux endurez,
Nous revoyons le jour de tes yeux desirez !
Mais ô dieux ! Quel malheur, ou quel indigne outrage
A troublé le serein de l’air de ton visage ?
Et pourquoy voy-je ainsi tes membres détranchez,
D’impitoyables coups et de sang tous tachez ?
Luy ne respondant rien à ces vaines parolles,
Comme les estimant des demandes frivolles,