Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/516

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Sa fameuse valeur s’acquerant ce loyer,
Qu’il n’est plus à la fin contraint de l’employer.
Que s’il veut par le monde estendre ses conquestes,
C’est moy qui luy soubmets les orgueilleuses testes
Des monts plus eslevez qu’à ses camps j’applanis ;
Moy qui livre en ses mains les forts les plus munis :
Moy qui respand le froid d’une tremblante glace
Es cœurs plus aguerris, et plus remplis d’audace,
Qui de luy faire teste osent se conseiller,
À voir le lustre seul de ses armes briller :
Moy qui fais que le bruit de ses seules trompettes,
Sans employer son bras, rend leurs troupes deffaites,
Qui fais que redoutable aux plus craints d’icy bas,
La fuitte de ses coups est sans honte és combats,
Comme si nul acier ne s’en pouvant deffendre,
C’estoit temerité, non valeur, que l’attendre.
Tels furent ces heros que les siecles plus vieux
Virent pour leur vaillance estimer demy-dieux :
Tel celuy qui soustint le ciel sur ses espaules :
Tel ce grand conquereur de l’empire des Gaules :
Tel ce brave Alexandre : et tels ont esté faints
Ces fameux paladins qui de contes si vains
Ornent des vieux romans les aymables mensonges
Qu’ils semblent estre escrits du doigt mesmes des songes :
Mais ce que seulement en idee ils ont eu,
Je le donne en effect au bras de sa vertu.
Qui ne sçait que moy seule és combats occupee
Sers aux autres vertus de bouclier et d’espee ?
Vous mesmes par effet le semblez confesser,
Encor que vostre voix fuye à le prononcer.
Car des que la fureur d’un orage de guerre
Fait ouïr en vos champs le bruit de son tonnerre,
Soudain pasles de crainte, et tremblantes d’effroy,
Sans vous tenir aux vœux, vous accourez vers moy
Me criez, deffens nous : vous cachez sous mes ailles,
Et monstrez vous juger mal à couvert sans elles.
Aussi, c’est plustost moy que nulle autre de nous,
Qui pour m’exposer seule à la gresle des coups,