Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/517

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Engendre les estats, les conquiers, ou les fonde,
Et plante dans le sang les empires du monde.
Le venerable orgueil du grand sceptre romain,
Aussi bien que du grec, fut l’œuvre de ma main ;
Et cet autre fameux et glorieux empire
Dont encor la grandeur en ses cendres respire.
Car bien que je destruise, avec tant de combats,
Ce que l’arrest du ciel veut qu’on renverse à bas,
Je fonde en destruisant, et de la pouldre mesme
De cent petits estats forme un grand diademe,
Comme on voit les dragons les plus démesurez
Se former des serpents qu’ils ont vifs devorez.
Bien est-ce justement qu’on vous donne la gloire
De sçavoir ménager les fruits d’une victoire :
Mais l’honneur en est moindre, et tousjours c’est un bien
Qui quelque grand qu’il soit, prend naissance du mien.
En fin, des saints labeurs où nostre ame s’exerce
Le merite est divers, et la palme diverse.
Vous regnez sur les doux, je donte le plus fiers :
Vous ornez les estats, et moy je les conquiers :
Vous les sçavez regir, moy je les sçay deffendre :
Vous assiegez des murs, et moy j’ose les prendre :
Vous monstrez ce que peut l’art du sçavoir humain ;
Et moy ce que peut faire une vaillante main.
Bref vous faites à l’umbre en des chambres fermees
Ce que je fais à l’aerte au milieu des armees.
Mais en tous ces exploits je vous surpasse autant,
Que vaincre un ennemy vaillamment resistant,
Voir tout autour de soy, comme esclairs dans les nues,
Cent pistoles flamber, et mille lames nues,
N’ouyr rien que canons qui font de tous costez
Voller jambes et bras de leurs coups emportez,
Marcher dedans le sang dont la campagne est teinte,
Et parmy tout cela ne pallir point de crainte,
Est et plus difficile et plus royal aussi,
Qu’eclarcissant un point par la fraude obscurcy,
Deffendre en un conseil la raison opprimee,
Ou d’un prudent esprit gaigner la renommee,