Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/551

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Il doit bien posseder les autres comme vn homme,
Mais il luy faut auoir celles-là comme vn Roy.

  Puissiez-vous le nourrir aux palmes asseurees,
Et malgré les fureurs contre luy conjurees,
Le mener iusqu’au temps par les astres promis,
Ou suiuant à grands pas la valeur paternelle,
La guerre estant sa gloire, et prosperant en elle,
La paix soit desirable à ses seuls ennemis.

  Alors on s’escriera, d’vn aise incomparable,
L’aiglon surpasse l’Aigle en ce vol admirable
Que de voir égaller nul iamais n’eust pensé :
Le vainqueur est vaincu, mais telle est la victoire,
Que si cet heur à l’vn de surpasser en gloire,
C’est joye à l’autre és cieux de se voir surpassé.




SVR LA MORT DV GRAND HENRY III
ROY DE FRANCE ET DE NAUARRE.
SONNET.

Phoenix des vaillants Roys et leur vif exemplaire,
Dont la gloire s’épand du Midy iusqu’au Nort,
Impute ma douleur si déplorant ta mort
Ie ne l’ay pas sceu plaindre en mon style ordinaire.

  Ma Muse te voyant sous le drap mortuaire
N’a point voulu suruiure à ce malheureux sort :
Toy seul qui fus mon astre, et mon phare, et mon port,
Viuant la fis parler, et mourant la fis taire.

  C’est pourquoy, tes Cyprez arrousez de nos pleurs,
Seichans et nos lauriers, et nos plus belles fleurs,
Ce n’est rien de merveille, és regrets ou nous sommes,

  Si celuy qui naguiere, animé de tes yeux,
Souloit chanter ta gloire[1] en la langue des Dieux,
Plaint maintenant ta Mort en la langue des hommes.

  1. La Poésie s’appelle ordinairement le langage des Dieux, et la Prose celui des hommes.     (Note de l’auteur.)