Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/575

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Seule dedans les eaux reste comme abysmee
Sa royale Junon, sa moitié plus aymee,
Dont il crie, et s’afflige, et s’espand en sanglots,
Et transi, ne croit pas estre à sec au rivage,
Cependant qu’exposee aux malheurs du naufrage,
La pluspart de soy-mesme est encor sous les flots.
Et certes à bon droit ressentoit-il pour elle
Ces legitimes soins d’amitié mutuelle,
Dont les cœurs plus constans se laissent consumer :
Car elle en fin sauvee eut de luy ce soin mesme,
N’ouvrant point tant à l’air sa bouche moite et blesme,
Pour aller respirant, comme pour le nommer.
Il faudroit voir ces doigts fameux par tout le monde
Qui peignirent Venus naissante hors de l’onde,
Peindre ceste Junon qu’on en tiroit aussi :
Car comme nul pinceau n’eut onc tant de courage
Que d’oser achever un si penible ouvrage,
Nul aussi n’oseroit commencer cestuy-cy.
Les graces appuyant ceste grande princesse
L’essuyoient, la servoient ainsi que leur maistresse :
L’amour (mais l’amour chaste) épreignoit ses cheveux,
Et mesme en cet effroy, la faisoit voir si belle,
Qu’elle combloit tous ceux qui se tournoient vers elle,
D’amour et de pitié, de larmes et de feux.
Heureux est vostre sort, ames vrayment loyales,
Qui tirastes des flots ces deux perles royales,
Et qui de les sauver avez receu l’honneur,
Si d’évident peril guarantir les couronnes,
Et si d’un grand estat relevant les colomnes,
Sauver le salut mesme est ou gloire ou bon-heur.
Et vous plus élevez, à qui ceste fortune
Se rendit avec eux également commune,
Et vous fist voir ensemble exposez et sauvez,
Princes, et vous princesse, ardants à son service,
Qui n’estimeriez pas un heur mais un supplice,
(s’ils y fussent peris) que vous voir preservez.