Page:Berthelot - Discours de réception, 1901.djvu/74

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Ainsi vous avez pensé toute votre vie. Ainsi vous pensiez déjà, à dix-huit ans, quand Ernest Renan, au sortir de Saint-Sulpice, vous rencontra dans la petite pension de la rue Saint-Jacques.

Il m’est doux, monsieur, de songer que vous avez été, pendant un demi-siècle, le meilleur ami de l’homme qui m’a le plus enchanté et troublé, et qui a longtemps exercé sur moi une influence où il y eut du sortilège.

Votre amitié avec cet incomparable artiste fut originale ; elle fut profonde et tendre, sans être jamais familière. Vos esprits s’aimaient. Ce qu’il conservait encore de sérieux ecclésiastique s’accorda avec votre sérieux de jeune clerc de la science. Vous étiez plus jeune que lui de quatre ans : mais vous marchiez déjà dans votre voie, et il cherchait la sienne. Votre précoce sérénité d’esprit dut être bonne à son inquiétude. Je crois que vous devez à ce charmant compagnon les rares sourires qui éclairent votre œuvre : mais peut-être aussi vous doit-il d’être resté, sous ses caprices aventureux, parmi ses fantaisies pyrrhoniennes ou ses rechutes dans le rêve, immuablement fidèle à deux ou trois principes essentiels de la critique scientifique ; peut-être vous doit-il, un peu, ce que j’appellerai l’épine dorsale, l’armature