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AVISSE — AVISSEAU

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et délicat, il développa rapidement dans ce milieu artistique, où devait s’écouler toute son existence, son talent souple et varié ; très épris de la beauté de la matière qu’il était appelé à décorer, non seulement il fournissait, pour l’ornementation de» vases dont les modèles existaient déjà, ou pour ceux qu’il créait, des dessins et des maquettes extrêmement remarquables par leur heureuse conception et la richesse harmonieuse de leur coloration, mais encore, et souvent, il exécutait lui-même, et en praticien d’une habileté consommée, la décoration en pâtes d’application (V. ce mot) de pièces qui sont, à juste titre, rangées parmi les plus beaux produits de la céramique moderne : tels sont, entre autres, une magnitique coupe conservée au musée de Sèvres, et le vase pour lequel il remporta le prix de Sèvres au concours de 1878, vase qui, dans le principe, devait orner le foyer du nouvel Opéra. Connaissant à fond toutes les ressources, et aussi toutes les dilïicultés que présente la fabrication de la porcelaine, nul, mieux que Paul Avisse, n’a su concevoir des formes plus en rapport avec la matière, ni de décoration plus appropriée à la forme. En dehors des travaux qu’il a exécutés pour la manufacture de Sèvres, il a fourni un grand nombre de modèles à l’industrie des étoffes et du papier peint, et on lui doit un recueil malheureusement inachevé, l’Art céramique au xix e siècle, ou Choix de compositions nouvelles gravées et coloriées, en collaboration avec Em. Renard. 11 avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1880. Edouard Garnier.

AVISSEAU (Charles-Jean), né à Tours le 25 déc. 1796, mort le 10 févr. 1861. Son père exerçait la profession de tailleur de pierre, mais à cette époque on construisait peu, l’ouvrage manquait souvent, et le brave homme, qui ne trouvait plus à vivre de son métier, fut obligé, pour subvenir aux besoins de sa famille, d’entrer en qualitédetourneur dans une des fabriques du faubourg Saint-Pierre-des-Corps, dont la principale industrie, alors comme aujourd’hui, était celle des poteries communes. Il prit avec lui comme aide son (ils Charles, bien que celui-ci fut alors à peine ûgé de huit ans, et lui apprit à façonner la terre. Dès le début, l’enfant montra de grandes dispositions pour le métier de potier, mais il fut, à son grand regret, obligé de le quitter au bout de quelques années pour suivre son père qui avait retrouvé de l’ouvrage comme tailleur de pierre. L’aisance revint alors un peu dans le modeste intérieur, et Charles, qui avait le plus grand désir de s’instruire, put être envoyé à l’école pendant deux ans ; ensuite il retourna travailler de nouveau avec son père jusqu’en 1816, époque à laquelle il se maria, puis il reprit la profession qui lui était apparue dans son enfance entourée de tant d’attraits et rentra comme ouvrier potier dans les fabriques de Saint-Pierre-des-Corps, où il resta huit années , travaillant avec une ardeur passionnée, curieux d’apprendre et de pénétrer les secrets de la composition et de la cuisson des terres et des couvertes, et appliquant aux produits relativement grossiers qu’il était appelé à façonner, le sentiment délicat de la forme et du dessin qu’il possédait pour ainsi dire d’instinct. En 1825, il quitta Tours pour entrer comme décorateur et contremaître dans la manufacture de faïence du baron de Bezeval, à Beaumont-les-Autels. Ce fut là qu’il eut comme une sorte de révélation de ce que pouvait donner ce bel art de la terre qu’il aimait tant, et qu’il vit tout ce qui lui restait à apprendre. Un des domestiques de M. de Bezeval lui ayant un jour montré un plat de Bernard Palissy, en lui répétant, ainsi qu’il l’avait entendu dire à son maitre, que le secret de la fabrication de cette faïence était perdu depuis plusieurs siècles et que celui qui le découvrirait de nouveau y trouverait à la fois la gloire et la richesse, la vue de cette terre recouverte d’émaux aux couleurs si variées, si éclatantes et si pures, produisit sur le pauvre potier une impression subite et profonde. La pensée de retrouver le secret de Palissy s’empara de lui entièrement ; dès ce moment, il ne vécut plus que pour poursuivre ce rêve avec la ténacité d’un halluciné. « Tous les jours, dit M. de Chenneviôres, qui dans ses Notes de voyage a consacré à l’artiste tourangeau une trop courte notice, tous les jours, dans ces fourneaux près desquels il travaille pour gagner le pain de sa femme et de ses enfants, ce ne sont plus que perpétuels essais pour la fusion et la combinaison des émaux. Ces essais durèrent quinze ans, ni plus ni moins que ceux de Palissy : mêmes misères, mêmes privations, mêmes moqueries, mêmes déroutes d’espérances, mêmes terribles et folles scènes, mêmes découragements jusqu’à la maladie ; les modèles se succèdent dans le fourneau ; toujours la réussite échappe et toujours il faut les briser ; mais la préoccupation est indomptable, la faim la dépite sans la distraire. Les émaux, les émaux ! il mettrait, s’il pouvait, la terre entière dans son fourneau et toutes les forêts en feu pour la fondre. J’ai là, sous les yeux, une note d’Avisseau lui-même, et j’y lis : « Entré « en 1823, chez M. le baron de Bezeval ; première piec>de Bernard Palissy, qu’il me soit permis de voir. Depuis « ce moment jusqu’en 1843, essais infructueux, recherches, « peines, misères et déceptions de toutes sortes. » Cette ligne toute mélancolique et bien touchante est encore grosse des muets désespoirs et des angoisses à peine effacées de cet homme invincible. Puis il ajoute avec sa simplicité loyale : « En 1843, essais satisfaisants, réussite, progrès les années suivantes. » La foi a été son génie ; à force de varier les combinaisons de ses émaux, Avisseau la trouve, enfin, la palette de Palissy, et ce jourlà, Avisseau se trouve en même temps grand sculpteur de nature morte, et inépuisable inventeur. » Malheureusement le succès n’amena pas avec lui la forture et le courageux artiste eut encore bien des mauvais jours à traverser. Peu de personnes connaissaient l’humble demeure de la rue Saint-Maurice à la fenêtre de ’aquelle il exposait timidement les premières œuvres sorlies du four sans défauts, et, parmi ceux qui les voyaient, il ne s’en trouvait guère qui fussent capables d’apprécier leur mérite, et surtout d’en offrir un prix qui put récompenser leur auteur de tant de travaux, de sacrifices et de misères, et lui donner un peu d’espoir pour l’avenir. Sa persévérance et sa foi furent enfin récompensés : en 1845, Riocreux, le regretté conservateur du musée céramique de Sèvres, passant à Tours, fit l’acquisition d’un des grands plats rustiques du modeste potier qui trouva bientôt parmi ses compatriotes et à Paris même d’ardents admirateurs, l’illustre Brongniart entre autres qui disait de lui : « Ce n’est pas un artisan, c’est un homme de génie. » La presse signala ses œuvres et l’exposition du congrès scientifique de Tours, puis celle de l’industrie à Paris, en 1849, vinrent augmenter encore l’intérêt qui s’attachait à son nom. Avisseau eut, à cette époque, à lutter contre une tentation à laquelle bien d’autres moins pauvres que lui n’auraient pas résisté : beaucoup d’amateurs et de marchands de curiosités lui dirent que sa signature seule empêchait de vendre ses poteries comme des productions inédites de Palissy et lui offrirent des prix élevés de celles de ses œuvres qu’il voudrait ne pas marquer de son nom ; il repoussa cette tricherie comme indigne de sa probité et injurieuse pour l’honneur que ses travaux devaient lui mériter. Les expositions universelles de Londres et de Paris, en 1851 et en 1835, consacrèrent sa réputation sans lui apporter, non pas la richesse, mais même une modeste aisance ; travaillant seul, ou seulement aidé de son fils et de sa fille, Avisseau, en effet, produisait peu, et chacune des pièces qui sortaient de ses mains lui demandait un labeur de plusieurs mois, qu’un accident de cuisson venait parfois anéantir en quelques heures. 11 mourut à la suite d’une courte maladie, âgé de soixante-quatre ans, ne laissant pour héritage que le souvenir d’une vie d’honneur et de travail, et la gloire d’avoir été l’initiateur de ce grand mouvement de rénovation artistique, qui a placé la céramique française au premier rang des industries modernes. Outre les grands