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LA MINE D’OR.

replis les plus cachés de son cœur. Cependant il se remit aussitôt, et reprit avec un sourire forcé :

— Que répondre à des inculpations aussi vagues ? Vous ne me reprochez rien, Ernestine, que vos propres soupçons. Vous vous êtes trompée : je vous aime et je vous aimerai toujours. Les dangers que nous avons courus ont un instant occupé ma pensée, trop exclusivement peut-être ; mais c’était encore de vous qu’il s’agissait, Ernestine, c’était vous que je voulais préserver de toute atteinte… Allons, ne pensez plus à ces ridicules soupçons. Bientôt, demain peut-être, nous serons unis par les liens indissolubles du mariage ; puis-je vous donner une meilleure preuve de la franchise, de la loyauté de mes sentimens pour vous ?

En même temps il porta à ses lèvres la main que la jeune fille, dans son désir de pardonner, ne se hâtait pas de retirer.

— Je veux vous croire, dit-elle en soupirant, et cependant, Marcellin, je vous avouerai que ce matin encore je doutais de vous ; je craignais de vous être devenue indifférente, odieuse ; j’étais disposée à vous rendre votre parole, à vous affranchir de toute obligation envers moi.

— Vous eussiez fait cela, Ernestine ? demanda Peyras avec vivacité en la regardant fixement ; mais, pauvre enfant, que serait-il advenu de vous, maintenant qu’il ne vous reste plus que moi au monde ?

— Je serais morte, Marcellin.

Le chevalier devint pensif à cette parole ; mais sentant que son silence pouvait être mal interprété par mademoiselle de Blanchefort, il reprit brusquement :

— Laissons ce fâcheux entretien, et causons de choses plus agréables pour vous et pour moi… Que pensez-vous de notre hôte, de ce protecteur inconnu dont le pouvoir singulier s’est déjà manifesté tant de fois en notre faveur ?

— Que puis-je penser, Marcellin, sinon que monsieur Martin-Simon est un homme généreux, employant noblement sa fortune à faire le bonheur de ceux qui l’approchent ?

— Eh ! croyez-vous, s’écria Peyras avec vivacité, qu’il n’y aurait pas moyen de l’employer à un meilleur usage ?… Tenez, continua-t-il en s’animant, quand je songe comment pourrait user de pareilles richesses un homme du monde, un gentilhomme ; quand je songe aux honneurs qu’il pourrait se procurer avec elles, aux grandes entreprises qu’il pourrait mener à bien, je suis tenté de m’emporter contre cet original, aux penchans bas et mesquins, qui sait si peu profiter de ses avantages… Ernestine, Ernestine, s’écria-t-il avec un transport peut-être involontaire, comme nous serions heureux, nous, si nous avions un trésor où l’on pût puiser toujours sans crainte de le tarir !

— Est-il donc impossible de vivre heureux sans cela ?

— Non sans doute, mais vous, Ernestine, ma charmante amie, vous avez été élevée pour le luxe et l’opulence ; comme toutes les femmes, vous aimez les parures, les triomphes, les grandeurs, jugez de quels présens pourrait vous combler un mari qui serait aussi riche que cet obscur montagnard ! Oh ! comme vous seriez belle sous un bandeau de diamans ! comme vous seriez fière dans le palais splendide que je voudrais construire pour vous ! vous inspireriez de l’envie aux reines elles-mêmes… Pour que cet homme ait pu faire ce qu’il a fait ici, il faut que sa fortune soit immense, vraiment royale, et certainement les bonnes gens de ce pays ont raison lorsqu’ils assurent qu’il a découvert dans ces montagnes une mine d’or qu’il exploite à son profit. Une mine d’or, Ernestine, comprenez-vous ? une mine d’or… à nous ?

Mademoiselle de Blanchefort sourit avec incrédulité.

— J’avais entendu traiter de fable absurde l’histoire de cette mine, Marcellin ; supposez-vous vraiment à la fortune incontestable de notre hôte une pareille origine ?

— Et pourquoi non ? Depuis notre arrivée dans ce village, j’ai observé, examiné, questionné, et aucune autre explication n’est possible si l’on veut se rendre compte de la conduite étrange de Martin-Simon. J’ai acquis la certitude que les dépenses énormes qu’il a faites pour rendre ce lieu abordable et susceptible de culture ont été pour lui sans compensation aucune ; les colons ne lui payent pas leurs fermages, et cependant il est toujours prêt à prodiguer des sommes considérables pour une amélioration ou même pour un caprice. Non, non, je ne me trompe pas ; cette mine existe, mais en quel endroit, dans quel coin écarté de ce désert ? voilà ce que tout le monde ignore, excepté peut-être Martin-Simon et sa fille, qui sont l’un et l’autre impénétrables. Je soupçonne que le rémouleur vagabond avait connaissance d’une partie sinon de la totalité de ce secret, et je voulais l’interroger, lui offrir tout ce qui me reste pour obtenir le mot de cette énigme ; mais cet homme a disparu tout à coup, et l’on n’a pu dire ce qu’il était devenu. Que ne donnerais-je pas pour pénétrer enfin les inextricables mystères dont s’entoure cette espèce de paysan montagnard !

— Prenez garde, Marcellin, murmura timidement Ernestine, d’être ingrat envers notre bienfaiteur.

Le chevalier ne répondit pas, et retomba dans sa rêverie. Son regard errait sans le voir sur le paysage environnant. Tout à coup il se leva, et, désignant du geste une personne qui gravissait rapidement le sentier et se dirigeait vers eux, il s’écria :

— Regardez, c’est elle ! c’est Marguerite !

Ernestine se tourna de ce côté, et reconnut en effet la fille de son hôte.

Marguerite, avec le simple costume local, n’avait ni la grâce ni l’élégance que mademoiselle de Blanchefort conservait sous les plus modestes ajustemens ; mais il y avait dans son port une dignité, dans sa démarche une aisance naturelle qui convenait mieux que la distinction d’Ernestine une habitante de ce pays sauvage. Son visage hâlé, aux lignes hardies sans dureté, ses sourcils bien arqués, sa bouche sévère, sa haute taille, formaient un ensemble imposant qui s’harmoniait avec le paysage. Dans un salon, sa beauté eût paru trop mâle ; en face du Pelvoux et de cette grandiose nature alpestre, elle était dans tout son jour. Pendant que Marguerite gravissait ainsi la montagne, son chapeau de paille rejeté en arrière et retenu sur les épaules par un ruban, de manière à laisser voir les longues tresses noires de son abondante chevelure, le chevalier de Peyras ne put contenir son admiration.

— Voyez, Ernestine, dit-il avec chaleur, n’est-ce pas que cette belle jeune fille mériterait un autre époux que le grossier paysan qui pourra un jour aspirer à sa main ?

— Vous oubliez que mademoiselle Simon a déclaré devant nous qu’elle ne se marierait jamais.

— Oui, parce qu’on exigerait d’un mari un assemblage de qualités fort rares dans une même personne ; il s’agirait de connaître les conditions précises qu’imposeraient le père et la fille… En vérité, elle ne ressemble en rien aux autres femmes que j’ai rencontrées ! — Il s’arrêta sous le le regard ardent que lui lança mademoiselle de Blanchefort. — Vous êtes folle, ajouta-t-il légèrement en répondant à sa pensée.

Marguerite atteignit l’espèce de petit plateau sur lequel se trouvaient Ernestine et le chevalier. L’expression de son visage était encore plus sérieuse qu’à l’ordinaire et, lorsqu’elle fut près des jeunes gens, elle leur dit froidement — On vous attend au village, venez ; l’homme de loi est de retour, et il vous apporte des nouvelles.

— Michelot ! s’écria Marcellin avec vivacité.

La fille de Martin-Simon répondit par un signe d’assentiment, et se retourna pour descendre la montagne. Ernestine la retint.

— De grâce, Marguerite, demanda-t-elle, dites-moi si les nouvelles dont vous parlez sont bonnes ou mauvaises. Mon père a-t-il enfin consenti… ?

Elle s’interrompit tout à coup.

— À votre mariage avec le chevalier Marcellin de Pey-