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Page:Berthet - La Mine d’or, 1868.djvu/46

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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

taient à Martin-Simon et à sa famille pour comprendre l’indignation qu’excita cet aveu. Le vieux Jean lui-même ne put se contenir.

— S’il en était ainsi, dit-il en regardant fixement le procureur, cet homme serait un serpent qu’il faudrait écraser du pied !

— Assommons-le, jetons-le dans la Guisanne ! s’écrièrent les jeunes gens en renchérissant sur les sentimens dont le vieillard avait donné l’exemple.

— Mes amis, balbutia Michelot en s’efforçant de secouer sa torpeur à la vue du nouveau danger qui le menaçait, vous serez responsables de tous les mauvais traitemens que j’endurerai… Celui qui a déjà porté la main sur moi expiera cruellement sa brutalité.

Ah ! tu veux dénoncer notre bailli, notre bienfaiteur, notre bon maître ? s’écria l’un des assistans en s’élançant vers lui ; eh bien ! sors par le chemin le plus court… par la fenêtre !

— Au secours ! s’écria le pauvre légiste en voyant des bras déterminés se lever sur lui.

— Mes amis, je vous défends…

— Enfans, prenez garde, vous ne savez pas à quoi vous vous exposez !

— Au secours ! répétait Michelot.

Ce fut en ce moment que Marguerite entra, suivie du chevalier de Peyras et de mademoiselle de Blanchefort. Leur présence arrêta tout à coup le désordre, et ceux qui avaient saisi le procureur tremblant le laissèrent aller.

XII

LES RIVAUX.


En apercevant sa fille, Martin-Simon courut au-devant d’elle.

— Ma chère enfant, dit-il d’une voix animée, éloigne-toi, laisse-nous traiter comme il le mérite un misérable qui a osé m’accuser d’un crime !

Les traits graves de la jeune fille n’exprimèrent ni étonnement ni crainte.

— Mon père, dit-elle avec calme, si cette accusation est fausse, devez-vous donc agir comme si elle était véritable ?

— Si elle est fausse répéta Martin-Simon en reculant d’un pas ; est-ce ainsi que ma fille reçoit la nouvelle de l’horrible calomnie dont je suis victime ?

— Mon père, vous n’avez pas compris ma pensée ; je ne crois plus… je ne crois pas que vous ayez pu commettre une mauvaise action. Mais il est plus sage de réfuter une calomnie que d’insulter le calomniateur.

— Vous avez raison, s’écria Michelot en reprenant courage, et dans cette circonstance il est plus facile de nier les faits que de les discuter… Lisez, lisez, mademoiselle, continua-t-il en ramassant les papiers que Martin-Simon avait jetés à terre ; et en les présentant à Marguerite : voyez si partout ailleurs qu’ici cette prétendue calomnie serait repoussée sans conteste !

La jeune fille prit les papiers avec émotion, et, en les parcourant, elle ne remarqua pas que Peyras lisait les pièces accusatrices par-dessus son épaule.

— Il y a ici quelque funeste méprise ! s’écria la timide Ernestine, et prenez-y garde, monsieur Michelot, mon père vous demandera compte de la manière dont vous aurez traité les amis qui m’ont accueillie dans mon malheur… J’ignore ce que contiennent ces papiers… mais personne ici ne partage vos affreux soupçons. Nous connaissons tous la loyauté, la noblesse d’âme, la haute vertu de Martin-Simon. Quel intérêt assez grand’pourrait forcer un homme tel que lui à renier quarante ans de probité ?

— Merci, merci, ma chère enfant, murmura le roi du Pelvoux d’une voix étouffée, pendant que deux grosses larmes roulaient le long de ses joues ; voilà ce que ma fille eût dû dire à votre place !

— Mademoiselle, reprit Michelot avec une mélancolie hypocrite en répondant à l’observation d’Ernestine, je rendrai compte à votre père des motifs de ma conduite, car, pour vous, vous ne comprendriez pas à quels excès peut porter la soif de l’or !

— Martin-Simon s’était jeté sur un siége d’un air accablé, et se couvrait le visage de ses deux mains pour cacher la douleur que lui causait l’indifférence apparente de sa fille. L’assemblée était agitée par mille sensations diverses.

En ce moment, Peyras, qui, ainsi que nous l’avons dit, avait parcouru en même temps que Marguerite les pièces produites par le procureur, dit à l’oreille de sa cousine : Ces preuves sont accablantes… Promettez-moi votre main et la mine d’or, je tuerai Michelot, je lui arracherai ces papiers, je sauverai votre père.

Marguerite fit un signe de mépris, et le chevalier s’éloigna en se mordant les lèvres.

Au même instant, une autre voix glissa ces mots à son oreille :

— Votre main ou la mine d’or, et je déchire ces papiers.

— Marguerite ne se retourna pas, mais elle avait reconnu Michelot.

— Ni l’un ni l’autre, répondit-elle.

Le procureur se perdit dans la foule.

— Mademoiselle, je suis ici, dit bientôt une troisième voix, assurez-nous la possession de cette mine d’or, et à l’instant même votre père sera mis à l’abri de toute poursuite.

Marguerite se retourna cette fois, et elle aperçut le vieux prieur du Lautaret qui s’appuyait sur le maître d’école. Elle leur sourit d’un air de mélancolie, mais elle ne répondit pas.

Le chevalier, malgré ses vues égoïstes, n’était pas insensible au déshonneur qui menaçait son parent ; d’ailleurs il avait deviné dans le procureur un rival redoutable qui marchait vers le même but que lui.

— Ces preuves que vous faites sonner si haut, dit-il, sont évidemment fausses et mensongères, maître Michelot, et si vous étiez un homme de cœur aussi bien que vous êtes un vil fauteur d’intrigues, je vous prouverais que vous avez menti sciemment, dans une intention de lucre et de méchanceté.

— Un murmure approbateur accueillit cette véhémente sortie. Ernestine pressa la main de son fiancé pour le remercier d’avoir pris la défense de leur hôte. Le procureur, voyant ces signes menaçans de réaction contre lui, voulut payer d’assurance, et répondit à Marcellin en souriant :

— Pas de bravades, monsieur de Peyras… Un vieux procureur comme moi et un gentilhomme comme vous ne peuvent croiser l’épée l’un contre l’autre ; ils seraient trop ridicules tous les deux… Mais à quoi bon cette discussion dans un pareil lieu ? continua-t-il en se préparant à sortir ; à quoi bon se défendre ainsi devant moi comme si j’étais un juge ? Ce n’est pas moi qui ai cherché ou souhaité ce fâcheux éclat ; Dieu m’est témoin que j’eusse désiré cacher ce terrible événement tout le temps que ma conscience me l’aurait permis, si dans sa fureur aveugle le coupable ne s’était trahi lui-même ! À présent, il ne dépend plus de moi de garder le secret ; il a eu trop de confidens pour qu’il me soit possible de tarder davantage à instruire la justice… Le seul conseil que je puisse donner à mon ancien hôte et à ses amis, c’est qu’il songe à passer la frontière promptement, avant qu’un mandat d’amener soit lancé contre lui.

Martin-Simon se leva.

— Je ne fuirai pas, dit-il avec une sombre résignation, j’attendrai le jugement des hommes… Je suis innocent.

— Eh bien donc ! reprit Marguerite d’une voix éclatante,