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LA MINE D’OR.

si quelqu’un peut nous sauver, qu’il se montre !… J’accepte les conditions que l’on me propose.

— C’est moi qui suis le coupable ! s’écria-t-on de l’autre bout de la salle.

Tous les yeux se tournèrent avec avidité de ce côté, et alors on vit s’avancer au milieu de l’assemblée le maître d’école Eusèbe Noël, toujours accompagné du prieur du Lautaret.

— Que personne ne soit accusé du meurtre du gagne-petit Raboisson, répéta-t-il d’une voix étouffée, car j’en suis le seul auteur.

— Vous ! s’écria-t-on de toutes parts.

— Monsieur Eusèbe, murmura Marguerite d’un ton de reproche, quel puissant ressort a-t-on fait jouer pour vous déterminer à ce mensonge ?

Mais le maître d’école ne parut pas avoir entendu ces paroles.

— Oui, poursuivit-il avec plus de force, c’est moi qui ai précipité le gagne-petit dans l’abîme de la Grave ; mais je m’empresse d’ajouter que cette mort a été le résultat d’une rixe, d’une lutte que j’ai soutenue contre Raboisson, et non l’effet d’une préméditation coupable. Le matin du jour de l’accident, j’errais dans la vallée, suivant mon habitude, en lisant mon auteur favori ; j’aperçus de loin Raboisson qui causait avec l’homme de loi ; ils paraissaient fort occupés l’un et l’autre d’un papier que le procureur serra dans son portefeuille. Je doublai le pas pour savoir de quoi il s’agissait ; mais, avant que je les eusses rejoints, Michelot avait disparu, et je ne trouvai plus que le gagne-petit assis sur le bord du chemin. J’avouerai franchement que le hasard seul ne m’avait pas conduit en cet endroit, où je savais que Raboisson devait passer ; cet homme avait connaissance d’un secret que je désirais ardemment de surprendre. Je m’approchai donc de lui, et je le pressai de questions pour lui arracher la vérité… Raboisson était brutal, et une querelle avait déjà éclaté entre nous la veille ; il me porta le premier coup ; je le poussai avec violence ; il chancela sur le bord de l’abîmé et disparut.

_ Tout cela est faux ! s’écria Michelot, qui voyait son autorité sur Martin-Simon lui échapper ; tout cela est un mensonge inventé pour détourner les soupçons.

— Tout cela est vrai, dit à son tour le vieux religieux d’une voix imposante, car j’ai été témoin de l’événement. J’étais allé recueillir des plantes médicinales dans le voisinage du précipice, et je vis de loin la lutte s’engager entre ces deux hommes. Après la catastrophe, j’accourus pour secourir Raboisson, espérant qu’il n’était que blessé ; je trouvai monsieur Noël auprès du corps inanimé de son ennemi ; là, en présence du cadavre, je fus témoin de ses larmes, de ses regrets. Je lui adressai des paroles sévères, mais ma colère fut désarmée par son profond repentir. Il craignait surtout d’être accusé de meurtre, et j’eus pitié de ses terreurs. Il fut convenu que je ne dirais pas ce que j’avais vu, et que nous révélerions le fait dans le cas seulement où une autre personne serait incriminée à sa place. Pendant plusieurs jours nous avons espéré qu’on attribuerait cette mort à un simple accident… Mais tout à l’heure, en apprenant qu’on soupçonnait un homme de bien dont la réputation est sans tache, j’ai décidé Noël à venir rendre témoignage de la vérité, quoi qu’il pût arriver.

On avait écouté ce récit avec la plus religieuse attention ; quand il fut fini, un bourdonnement sourd trahit l’émotion qu’il avait causée. Marguerite, regardait tour à tour le maître d’école et le prieur avec une espèce d’égarement.

Eusèbe Noël, et vous, mon révérend père, demanda-t-elle enfin dans une mortelle angoisse, cela est-il bien vrai ?

— Je le jure devant Dieu et devant les hommes ! dit Noël.

— Je prends le Christ et la Vierge à témoin, ajouta le moine d’un ton solennel, de l’exactitude de ces aveux,

Alors Marguerite eut un mouvement sublime de douleur et de repentir.

— Il n’y a donc que moi de coupable, s’écria-t-elle avec un accent déchirant, car j’ai maudit mon père ! — Puis elle se prosterna devant Martin-Simon, et ppa du front le plancher, en répétant : — Grâce, grâce !… vous serez bien vengé !

— Mon enfant bien-aimée, s’écria Martin-Simon attendri, lève-toi, viens dans mes bras !… Ai-je besoin de te pardonner ? les apparences n’étaient-elles pas contre moi ?

Le père et la fille se tinrent un moment embrassés. Des larmes coulaient de tous les yeux. Bientôt Marguerite se dégagea doucement des étreintes de Martin-Simon, et, se tournant vers les assistans, elle dit d’une voix imposante :

— Que tout le monde sorte… ce qui me reste à dire à mon père ne doit être entendu que de lui.

Les assistans d’un rang inférieur se hâtèront d’obéir à cet ordre ; mais les autres ne s’éloignèrent que lentement, et chacun d’eux, en passant près de Marguerite, lui glissa quelques mots à l’oreille.

XIII

LE SERMENT.


Marguerite attendit que tout le monde fût sorti, et elle referma soigneusement la porte, afin de ne pas être interrompue dans la conversation qu’elle allait avoir avec son père. Cependant les personnes qui remplissaient la chambre un moment auparavant ne s’en étaient pas éloignées, car on entendait au rez-de-chaussée de la maison une espèce de piétinement sourd et continu.

Martin-Simon suivait avec curiosité chacun des mouvemens de Marguerite. Elle était redevenue froide, solennelle ; sa physionomie exprimait une grande résolution. Lorsqu’elle se fut assurée qu’elle était bien seule avec son père, et qu’aucune oreille indiscrète ne pouvait l’entendre, elle s’avança vers lui et dit avec fermeté :

— Mon père, il n’y a plus à hésiter ; le moment prescrit est arrivé.

Le roi du Pelvoux tressaillit comme au bruit d’une détonation inattendue ; il se troubla et balbutia avec embarras :

— Explique-toi, Marguerite, je ne te comprends pas…

— Le temps est venu d’accomplir le serment que vous avez prononcé devant le lit de mort de mon aieul… le temps est venu de renoncer pour toujours à ce trésor qui vous avait été confié pour le bonheur des hommes.

Martin-Simon s’agita sur son siége d’un air d’angoisse.

— Tu te trompes, Marguerite, je t’assure que tu te trompes, reprit-il ; rien dans notre situation présente ne justifie encore ces mesures extrêmes. À la vérité, cet odieux procureur m’avait préparé un piége où j’ai failli tomber, mais l’imposture a été confondue.

— Mon père, s’écria la jeune fille avec véhémence, laissez-moi vous rappeler cette scène lugubre que vous m’avez racontée tant de fois, et à la suite de laquelle Bernard quitta ce monde pour aller au ciel… Il était étendu sur son lit d’agonie ; à genoux devant lui vous versiez d’abondantes larmes ; un crucifix et un Évangile ouvert étaient sur la table. Vous veniez de jurer par les sermens les plus redoutables que vous ne révéleriez jamais à un imprudent ou à un méchant l’existence du trésor qu’on vous léguait. Ni fils, ni femme, ni mère, ni frère, ni ami, n’étaient exceptés de la règle ; du jour ou ce trésor risquait à être employé à de mauvais usages, il fallait l’anéantir. Après cette cérémonie, le malade était épuisé, son âme n’appartenait déjà plus à la terre ; cependant, préoccupé de la magnifique mission dont vous étiez chargé, vous deman-