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LA MINE D’OR.

m’en ont fait. Devant moi, les plus fiers deviennent des mendians qui tendent la main, tandis que les plus timides exigent et menacent… Cependant, je te l’avouerai, j’avais espéré que mon jeune parent, Marcellin de Peyras, n’était pas accessible à ces sentimens de basse avidité.

Marguerite raconta brièvement ce qui s’était passé le matin chez Eusèbe Noël, et répéta la conversation qu’elle avait eue avec le chevalier peu d’instans après.

— Ainsi donc, pas un seul, s’écria le roi du Pelvoux, pas un seul qui aît ressenti pour mes services passés quelque gratitude ! Que l’âme sordide d’un procureur se soit exaltée à la nouvelle que j’étais possesseur d’un trésor inestimable cela s’explique sans peine ; mais qu’un jeune gentilhomme, étourdi et prodigue autrefois, ait poussé l’amour de l’or jusqu’à l’infamie, qu’un vieil et respectable moine, qui a fait vœu de pauvreté, se soit entendu avec un misérable pédagogue à moitié fou pour m’obliger à compter avec eux, voilà ce qui passe toute croyance, voilà ce qui pourrait donner de la haine contre l’humanité entière ! Il reprit d’un ton plus calme, après une pause : Ne m’as-tu pas dit, Marguerite, qu’ils attendaient ta réponse en ce moment ?

— Ils l’attendent, mon père, répliqua la jeune fille avec amertume, comme la bête affamée attend sa proie, avec impatience et fureur.

— Eh bien je la leur transmettrai moi-même… Mais l’heure s’avance, il est temps, ma fille, de nous préparer pour la cérémonie religieuse.

— Mon père, je croyais… monsieur de Peyras a mạnifesté une telle répugnance pour ce mariage…

— Je lèverai ses scrupules, dit Martin-Simon en souriant d’un air mélancolique ; cette passion qu’il a ressentie pour toi si subitement ne doit pas être bien profonde, et elle ne sera pas un obstacle sérieux à l’accomplissement de ses devoirs !

Marguerite rougit et baissa la tête.

— Mon père, reprit-elle avec timidité, je vous demanderai une grâce ; permettez-moi de ne pas assister à leur… à cette solennité. La fatigue et les émotions de la journée…

— Il suffit, mon enfant ; je t’excuserai donc auprès des invités… Allons, retire-toi ; il est temps que je m’habille pour conduire cette pauvre jeune fille à l’autel. Du reste, aie l’esprit en repos, j’arrangerai ces affaires qui semblent si embrouillées. Je vais, d’un seul coup, apaiser ces passions tumultueuses…

— Et comment cela, mon père ?

En accomplissant le serment que j’ai fait à ton aïeul le baron Bernard… Va.

— Peu d’instans après, Martin-Simon descendit dans la salle basse, revêtu d’un costume noir qu’il portait les jours de cérémonie. Il prit séparément Michelot, le chevalier et Eusèbe Noël, qui tous guettaient le moment favorable pour lui parler ; il leur dit seulement quelques mots à l’oreille, et de cet instant la plus parfaite harmonie régna comme par enchantement dans l’assemblée. Lorsque l’on partit pour l’église, la mariée était presque souriante, et le marié, sauf quelques distractions, paraissait galant et heureux, il n’était pas jusqu’à la figure de Michelot et jusqu’au visage jaune d’Eusèbe Noël qui n’exprimassent une satisfaction sympathique. De son côté, Martin-Simon affectait une sérénité parfaite, et les montagnards, heureux de ce changement imprévu après les angoisses de la matinée, saluaient le cortege de leurs acclamations joyeuses. Ce fut sous ces auspices que l’union du chevalier de Peyras et de mademoiselle de Blanchefort fut bénie par le prieur du Lautaret, dans la petite chapelle du Bout-du-Monde.

Lorsque l’on revint à la maison après la cérémonie, Marguerite prit Ernestine à part, et, déposant un baiser sur son front, elle lui dit d’une voix émue :

— Mademoiselle, j’ai été bien sévère pour vous, et vous avez supporté mes froideurs avec une inaltérable douceur. Aujourd’hui, quand tout accusait mon père, quand moi-même je doutais de lui, vous scule avez eu le courage de le défendre… vous valez mieux que moi, et vous méritez tous les bonheurs, toutes les joies ! Cependant, ajouta-t-elle en baissant la voix, si votre sort dans l’avenir ne devait pas être aussi heureux que je le désire, souvenez vous que vous avez une amie dans Marguerite Simon, et que vous et les vôtres vous pourrez compter sur elle dans l’adversité !

En même temps, comme si elle eût craint d’en trop dire, elle s’éloigna rapidement.

XIV

LA GROTTE.


La cérémonie religieuse s’était prolongée assez avant dans la journée, et elle avait été suivie d’un léger repas auquel assistèrent les principaux personnages de cette histoire. À l’issue de ce repas, pendant lequel on prit soin de ne faire aucune allusion aux événemens de la matinée, on se sépara, et bientôt tout redevint calme dans le village et dans la maison de Martin-Simon.

Alors Michelot fit des adieux secs et froids aux nouveaux époux, prit congé de son hôte qui semblait avoir entièrement oublié leur récente querelle, puis il monta à cheval, et partit en annonçant qu’il passerait la nuit à l’hospice du Lautaret.

Marcellin et Ernestine, du haut de la terrasse qui attenait à la maison, le suivirent des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu à l’extrémité du village.

— Enfin, dit le chevalier en s’asseyant sur le parapet de pierre à côté d’Ernestine, nous voici débarrassé de ce vieil intrigant qui nous a causé tant d’ennuis ! Je craignais de sa part quelque nouvelle machination pour perdre mon généreux parent ; mais ils ont l’air de s’entendre maintenant, et sans doute nous ne reverrons plus ici cette hideuse face de chicaneur. Je gage qu’il aura tiré quelques grosses sommes de Martin-Simon !

— Que puis-je répondre, Marcellin ? dit Ernestine avec tristesse ; depuis cette orageuse matinée, je ne comprends plus rien à ce qui se passe autour de moi… tous les visages ont une expression étrange que je ne puis m’expliquer… Vous-même, Marcellin, vous semblez éprouver une agitation que je ne vous ai jamais vue, et elle a un caractère si nouveau, que je ne saurais dire si c’est du regret ou de la joie.

— Oh ! c’est de la joie, Ernestine ! s’écria Peyras avec chaleur, je suis enfin au comble de mes vœux.

La jeune mariée sourit de plaisir, en même temps que de douces larmes brillaient dans ses yeux,

— Merci, Marcellin, mille fois merci pour cette bonne parole, dit-elle, c’est la première depuis que nous sommes unis par des liens indissolubles. Eh bien ! voyez comme j’étais ingrate !… Ce matin encore mes soupçons m’étaient revenus : je… doutais de vous, de votre amour… mais pardonnez-moi, Marcellin, car j’étais folle.

Le chevalier la regarda d’un air de surprise. Évidemment ce n’était pas à son récent mariage qu’il avait voulu faire allusion en parlant de la joie qui éclatait sur son visage et dans tous ses mouvemens. Cependant il n’eut pas la cruauté de détromper la malheureuse Ernestine, et il répondit distraitement.

— Oui, oui, bien folle en vérité ; vous ne savez pas combien votre destinée va devenir digne d’envie ! Mais, continua-t-il en regardant le soleil qui commençait à s’abaisser vers le sommet des montagnes, excusez-moi, chère Ernestine, il faut que je vous quitte… Voici, je crois, le moment fixé pour terminer une affaire importante… je reviendrai bientôt.