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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

Il déposa un froid baiser sur le front de sa femme, et se disposait à quitter la terrasse.

— Quoi ! vous vous éloignez déjà de moi ? dit Ernestine avec chagrin ; quelle affaire peut vous réclamer si impérieusement dans un pareil jour ? Marcellin, me cachez-vous donc encore quelque chose ?

— Bientôt vous saurez tout, reprit le jeune homme avec une agitation fébrile ; mais laissez-moi partir, il y va d’une fortune royale pour vous et pour moi ; laissez-moi partir, et, à mon retour je serai maître d’une mine d’or…

Et il s’échappa, malgré les efforts d’Ernestine pour le retenir.

— Toujours cette mine d’or ! murmura-t-elle avec abattement, je me trompais tout à l’heure… il ne pensait pas à moi. Oh ! l’expiation sera longue et douloureuse !

Elle s’assit de nouveau sur le parapet, et versa des larmes amères.

Le chevalier rentra dans sa chambre, afin de prendre un costume plus convenable que ses vêtemens de noces pour l’excursion qu’il méditait. Bientôt il sortit de la maison, habillé à peu près de la même manière que le jour de son arrivée chez son hôte ; seulement il avait ajouté à son équipage un long bâton ferré, et enveloppé ses jambes de grossières guêtres bleues. Il marchait d’un pas inégal, mais rapide ; et il se dirigeait vers la partie la plus âpre et la plus sauvage de cette contrée solitaire.

La maison de Martin-Simon était bâtie, comme nous l’avons dit, au pied d’une haute montagne qui se rattachait à la chaîne principale des Alpes françaises. Peyras suivit sans hésiter un petit sentier à peine visible qui tournait la base de cette montagne, et bientôt il entra dans une gorge sombre, semblable à celles que nous avons déjà décrites. Le joli village se cacha graduellement à sa vue, à mesure qu’il s’enfonçait dans cet étroit passage ; mais, en se retournant, il pouvait apercevoir encore une partie de la vallée si riante et si bien cultivée qui formait comme une oasis de verdure et de fertilité au milieu de ces déserts. Le soleil la colorait de ses tons les plus chauds, comme pour en faire ressortir les beautés merveilleuses, et pour donner plus de regret de la quitter.

Après quelques momens d’une marche pénible, Peyras atteignit une vallée secondaire dont le premier aspect était effrayant. Les montagnes surmontées de neiges et de glaciers qui l’entouraient étaient nues, décharnées, comme sillonnées par la foudre. La vallée offrait elle-même l’image du chaos ; elle était jonchée de pierres, de gros rochers, jouets des torrens et des avalanches. Pas un arbre, pas un brin d’herbe n’avait pu prendre racine sur ce sol ravagé, aucun insecte ne bourdonnait dans l’air ; on ne voyait pas même un oiseau de proie planant avec ses longues ailes au sommet de ces pics glacées ; pas une créature vivante ne respirait dans cette enceinte maudite, dont le soleil n’éclairait le fond que pendant une heure de la journée. C’était une nature morte, muette, inanimée ; on se serait cru loin des hommes et de leurs habitations, si, à quelques pas, la gracieuse colonie du Bout-du-Monde n’eût fait contraste avec cet abîme inhospitalier.

Mais le chevalier n’accorda pas plus d’attention à cette triste solitude qu’à la belle contrée qu’il laissait derrière lui. Il suivait toujours le sentier, qui devenait de moins en moins distinct à travers les rochers et les éboulemens. Cependant les instructions que Marcellin avait reçues sans doute étaient trop précises pour qu’il pût s’égarer ; il se dirigeait en droite ligne vers un bouquet de vieux sapins, d’autant plus remarquables qu’ils avaient seuls résisté aux perturbations épouvantables dont ce vallon gardait les traces. Ce fut seulement lorsqu’il fut arrivé en face de ces arbres séculaircs qu’il s’arrêta et jeta des regards incertains autour de lui ; mais cette hésitation dura peu ; il venait d’apercevoir, sur le penchant de la montagne, l’entrée d’une grotte sombre que le surchappement d’un rocher cachait à demi.

— Je ne me suis pas trompé, murmura-t-il avec satisfaction ; voici les sapins que l’on m’a indiqués, et voici la caverne où l’on m’a donné rendez vous… Ce lieu est solitaire, et il n’est pas probable que nous y soyons dérangés. Sans doute, la mine n’est pas loin ; on dit que l’or se trouve dans les endroits stérilès et inhabitables, pareils à celui-ci… qui sait ? dans cette grotte même peut-être…

Cette réflexion sembla donner une vigueur nouvelle à ses jambes. Il gravit presque en courant la pente assez raide qui le séparait de la caverne, et il se trouva bientôt sur une espèce de petite plate-forme qui en précédait l’entrée.

Là cependant il fut obligé de s’arrêter pour reprendre haleine, et il profita de ce moment pour examiner plus attentivement les lieux où il se trouvait. Partout autour de lui des pics inaccessabiles, des surfaces lisses et verticales, des amas de pierres brutes et sans adhérence entre elles. De l’autre côté de la vallée se dressait dans toute sa sauvage majesté une montagne qui semblait être une annexe du mont Pelvoux, et qui s’unissait à lui vers la cime par un glacier dont les cristaux bleuâtres étincelaient au soleil. Elle était inabordable, excepté d’un côté ; sur ce point, une longue traînée de rochers présentait des marches gigantesques dont la base s’appuyait sur le sol inférieur et dont le couronnement touchait aux glaces éternelles. On eût dit qu’un des sommets de ce cône majestueux ayant été brisé dans un jour d’orage ou pendant un tremblement de terre, les ruines s’étaient amoncelées sur ses flancs, tandis que les parties les plus légères étaient allées joncher le fond de l’abîme.

Le chevalier ayant repris haleine, voulut pénétrer dans la grotte qui lui avait été désignée comme lieu de rendez-vous. Elle était profonde, et il n’y régnait qu’un demi-jour ; cependant, en approchant, Marcellin aperçut dans l’intérieur un homme assis sur une pierre et livré à de profondes réflexions. Au bruit qu’il fit, on se leva et on s’avança vers lui en disant avec précipation :

— Monsieur Martin-Simon, est-ce vous enfin ? Mais aussitôt, reconnaissant son erreur, le personnage en question, qui n’était autre que Michelot, laissa échapper une exclamation de surprise. Marcellin lui-même ne pouvait en croire ses yeux.

— Encore vous, abominable intrigant ? s’écria-t-il avec colère ; comment vous trouvez-vous en cet endroit écarté lorsque tout le monde vous croit sur le chemin de Grenoble ? Auriez-vous la pensée d’épier mes actions ?

— C’est plutôt vous qui épiez les miennes, reprit Michelot avec non moins d’assurance, et si ce n’est pas ici la place d’un voyageur qui devait coucher ce soir au Lautaret, ce n’est guère non plus celle d’un nouveau marié, qui devrait être en ce moment auprès de sa jeune épouse à lui jurer constance et fidélité.

— Vous osez me railler, je crois ! dit Peyras furieux en tirant de sa poche un pistolet. Misérable ! sors d’ici, ou sinon…

Mais Michelot montra aussi un pistolet qu’il dirigea contre la poitrine de son adversaire.

— Prenez garde, dit-il, je puis vous répondre sur le même ton ; ainsi tenez-vous en repos, car la conversation pourrait tourner mal pour vous comme pour moi.

Peyras sourit avec mépris.

— Je ne m’attendais pas, dit-il, à voir de pareilles armes entre les mains d’un procureur.

— Ni moi entre les mains d’un gentilhomme ; mais ne nous querellons pas, monsieur de Peyras, avant d’en avoir un sujet bien précis. Il ne s’agit peut-être que de s’entendre… N’y a-t-il rien qui vous frappe dans notre singulière rencontre ?

— J’avais des motifs particuliers pour venir dans cet endroit.

— Et moi aussi.

— J’y attends quelqu’un.

— Et moi de même.

— Martin-Simon.

— C’est comme moi.