Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/126

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croyant aspire au martyre, il joue son jeu et vise au paradis. Un mécréant n’a pas d’ambitions si hautes.

D’Alembert ne craignait pas sérieusement d’être brûlé, mais il ne voulait pas s’exposer comme Diderot à habiter à Vincennes, ni comme Voltaire à s’exiler hors de France. Son cœur le retenait à Paris. Il ne voulait compromettre ni ses intérêts ni son repos. Voltaire cependant excitait son zèle ; il ne lui demandait que cinq ou six bons mots par jour. Lui-même d’ailleurs conseillait la prudence et en donnait l’exemple. « Je voudrais, disait-il, que chacun des frères lançât tous les ans des flèches de son carquois contre le monstre, sans qu’il sût de quelle main les coups partent. Il ne faut rien donner sous son nom. Je n’ai pas même fait la Pucelle. Je dirai à maître Joly de Fleury que c’est lui qui l’a faite. »

Voltaire, pas plus que d’Alembert, ne se souciait de boire la ciguë. Il consentait pour éloigner ce calice à communier dans l’église de Ferney. À Abbeville, où le chevalier de la Barre venait d’être supplicié, il aurait mis chapeau bas devant toutes les processions.

D’Alembert publia en 1765 un livre intitulé Histoire de la destruction des Jésuites, par un auteur désintéressé. En l’imprimant en Suisse, on avait, suivant le conseil de Voltaire, soigneusement caché le nom de l’auteur. On feignait au moins de le croire et l’on s’amusait du mystère. C’est à mots couverts que Voltaire donne des nouvelles de l’impression.