Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/149

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« La situation où je suis serait peut-être, monsieur, un motif suffisant pour bien d’autres de renoncer à son pays. Ma fortune est au-dessous du médiocre ; 1 700 livres de rente font tout mon revenu. Entièrement indépendant et maître de mes volontés, je n’ai point de famille qui s’y oppose. Oublié du gouvernement, comme tant de gens le sont de la Providence, persécuté même autant qu’on peut l’être quand on évite de donner trop d’avantage sur soi à la méchanceté des hommes, je n’ai aucune part aux récompenses qui pleuvent ici sur les gens de lettres avec plus de profusion que de lumières. Une pension très modique, qui vraisemblablement me viendra fort tard, et qui à peine un jour me suffira si j’ai le bonheur ou le malheur de parvenir à la vieillesse, est la seule chose que je puisse raisonnablement espérer. Encore cette ressource n’est-elle pas trop certaine si la cour de France, comme on me l’assure, est aussi mal disposée pour moi que celle de Prusse l’est favorablement. Malgré tout cela, monsieur, la tranquillité dont je jouis est si parfaite et si douce, que je ne puis me résoudre à lui faire courir le moindre risque. Supérieur à la mauvaise fortune, les épreuves de toute espèce que j’ai essuyées dans ce genre, m’ont endurci à l’indigence et au malheur, et ne m’ont laissé de sensibilité que pour ceux qui me ressemblent. À force de privations, je me suis accoutumé sans effort à me contenter du plus étroit nécessaire, et je serais même en état de partager mon peu de fortune avec d’honnêtes gens plus