Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/157

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En prévenant d’Alembert des dangers qu’il connaissait bien, Voltaire n’avait aucun tort. La main gantée de velours que Frédéric tendait gracieusement à d’Alembert pouvait égratigner les imprudents et broyer les ingrats. L’amitié de Frédéric n’était pas banale, et s’il respectait les génies sublimes, c’étaient ceux que lui-même jugeait tels. Le bon et grand Euler ne rencontrait à la cour et à l’Académie ni les avantages offerts à d’Alembert avec tant d’empressement, ni les égards que sa naïve bonhomie ne savait pas imposer. Frédéric le traitait avec la même bienveillance précisément qu’il montrait au jardinier de Sans-Souci quand il était content de ses services. Euler pour Frédéric n’était pas plus un ami que d’Alembert pour Louis XV. Louis XV disait en parlant de l’un : C’est un impie. Frédéric, s’il daignait s’en informer, pouvait dire d’Euler tout le contraire. Il était tolérant et le lui pardonnait, mais rien de plus. Euler, si d’Alembert l’avait consulté et s’il avait osé répondre, aurait donné le même conseil que Voltaire.

Un de ses neveux avait été incorporé dans un régiment. Le jeune homme se destinait au commerce ; la famille était désolée. Euler adressa une supplique.

Le roi lui répondit :

« Comme je sais qu’il est d’une bonne taille, ce qui marque un tempérament flegmatique qui ne paraît pas propre pour l’activité et la souplesse si nécessaires à un habile marchand, je crois que la