Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/192

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sa fin, et mourut dans ses bras en murmurant le nom de M. de Guibert.

On n’a pas d’élégie plus touchante que le cri de douleur adressé par d’Alembert aux mânes de Mlle de Lespinasse et trouvé plus tard dans ses papiers : « Ô vous qui ne pouvez plus m’entendre, vous que j’ai si tendrement et si constamment aimée, vous dont j’ai cru être aimé quelques moments, vous que j’ai préférée à tout, vous qui m’eussiez tenu lieu de tout si vous l’aviez voulu....

« Par quel motif, que je ne puis ni comprendre ni soupçonner, ce sentiment si doux pour moi, que vous éprouviez peut-être encore dans le dernier moment où vous m’en avez assuré, s’est-il changé tout à coup en éloignement et en aversion ?…

« Que ne vous plaigniez-vous à moi, si vous aviez à vous plaindre !… Ou plutôt, ma chère Julie, — car je ne pouvais avoir de torts envers vous, — aviez-vous avec moi quelque tort que j’ignorais et que j’aurais eu tant de douceur à vous pardonner, si je l’avais su ? »

La profonde blessure de d’Alembert déchira l’enveloppe de froideur et d’insensibilité affectée qui cachait aux yeux du plus grand nombre ses trésors de dévouement et de bonté. Le monde philosophique et lettré vit que ce grand savant qui savait si bien rire savait pleurer aussi. Chacun l’entoura de sympathie et d’affection. Frédéric et Voltaire surtout, sans lutter avec sa douleur, firent pour l’adoucir de constants et affectueux efforts. Mais la vie de