Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/200

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bles, doit être fort attentif à ce qu’il écrit, assez à ce qu’il fait et médiocrement à ce qu’il dit. M. d’Alembert conforme sa conduite à ce principe ; il dit beaucoup de sottises, n’en écrit guère et n’en fait point.

Personne ne porte plus loin que lui le désintéressement ; mais comme il n’a ni besoins, ni fantaisies, ces vertus lui coûtent si peu qu’on ne doit pas l’en louer ; ce sont plutôt en lui des vices de moins que des vertus de plus.

Comme il y a très peu de personnes qu’il aime véritablement et que, d’ailleurs, il n’est pas fort affectueux avec celles qu’il aime, ceux qui ne le connaissent que superficiellement le croient peu capable d’amitié : personne cependant ne s’intéresse plus vivement au bonheur ou au malheur de ses amis ; il en perd le sommeil et le repos, et il n’y a pas de sacrifice qu’il ne soit prêt à leur faire.

Son âme, naturellement sensible, aime à s’ouvrir à tous les sentiments doux ; c’est pour cela qu’il est tout à la fois très gai et très porté à la mélancolie ; il se livre même à ce dernier sentiment avec une sorte de délices ; et cette pente que son âme a naturellement à s’affliger, le rend assez propre à écrire des choses tristes et pathétiques.

Avec une pareille disposition, il ne faut pas s’étonner qu’il ait été susceptible, dans sa jeunesse, de la plus vive, de la plus tendre et de la plus douce des passions ; les distractions et la solitude la lui ont fait ignorer longtemps. Ce sentiment dormait, pour ainsi dire, au fond de son âme ; mais le réveil a été