Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/209

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femmes que vous connaissez ; vous la rendez même à votre ennemie dans ce qu’elle peut avoir soit de bon et d’estimable, soit d’agréable et de piquant.

Cependant, car il ne faut pas vous flatter même en disant du bien de vous, cette bonne qualité, toute rare qu’elle est, est peut-être moins louable en vous qu’elle ne le serait en beaucoup d’autres. Si vous n’êtes point envieuse, ce n’est pas précisément parce que vous trouvez bon que d’autres personnes aient sur vous les mêmes avantages ; c’est qu’après avoir bien regardé autour de vous, tous les êtres existants vous paraissent également à plaindre et qu’il n’y en a aucun dont vous voulussiez changer la situation contre la vôtre. S’il y avait ou si vous connaissiez un être souverainement heureux, vous seriez peut-être très capable de lui porter envie ; et on vous a souvent ouï dire qu’il était juste que les personnes qui ont de grands avantages eussent aussi de grands malheurs, pour consoler ceux qui seraient tentés d’en être jaloux.

Ne croyez pas cependant que votre peu de jalousie cesse d’être une vertu, quoique le principe n’en soit pas aussi pur qu’il pourrait l’être ; car combien y a-t-il de gens qui ne croient pas que personne soit heureux, qui ne voudraient être à la place de personne et qui ne laissent pas d’être jaloux ?

Votre éloignement pour la méchanceté et l’envie suppose en vous une âme noble ; aussi la vôtre l’est-elle à tous égards : quoique vous désiriez la fortune et que vous en ayez besoin, vous êtes incapable de