Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/210

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vous donner aucun mouvement pour vous la procurer ; vous n’avez pas même su profiter des occasions les plus favorables que vous avez eues pour vous faire un sort plus heureux.

Non seulement vous avez l’âme très élevée, vous l’avez encore très sensible ; mais cette sensibilité est pour vous un tourment plutôt qu’un plaisir ; vous êtes persuadée qu’on ne peut être heureux que par les passions, et vous connaissez trop le danger des passions pour vous y livrer. Vous n’aimez donc qu’autant que vous l’osez ; mais vous aimez tout ce que vous pouvez ou tant que vous le pouvez ; vous donnez à vos amis, sur cette sensibilité qui vous surcharge, tout ce que vous pouvez vous permettre : mais il vous en reste encore une surabondance dont vous ne savez que faire, et que, pour ainsi dire, vous jetteriez volontiers à tous les passants ; cette surabondance de sensibilité vous rend très compatissante pour les malheureux, même pour ceux que vous ne connaissez pas ; rien ne vous coûte pour les soulager. Avec cette disposition, il est naturel que vous soyez très obligeante : aussi ne peut-on vous faire plus de plaisir que de vous en fournir l’occasion ; c’est donner à la fois de l’aliment à votre bonté et à votre activité naturelle. J’ai dit que vous donniez à vos amis tous les sentiments que vous pouviez vous permettre ; vous leur accordez même quelquefois au delà de ce qu’ils seraient en droit d’exiger : vous les défendez avec courage, en toute circonstance et en tout état de cause, soit qu’ils aient tort ou raison.