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Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/17

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Le premier, il eut le sentiment de l’importance des mots et de leur valeur dans la phrase poétique. Et en cela il se rencontre avec le maître suprême des délicatesses, J. Joubert, qui dès l’aube du siècle, en i8o5, en pleine logomachie et en pleine décadence de la poésie et des lettres, avait le courage de rappeler les poètes à la précision et à la justesse (i).

Il ne faut pas craindre de le répéter, en face de derniers doutes et de dernières ironies : avant 1820, la littérature française se mourait de langueur dans les ambages de l’imitation routinière et radoteuse ; vieilles tragédies, vieilles comédies, poésie didactique et épistolaire, vieux moules séculaires, et que Delille et son école avaient finalement mis hors d’usage. Mais la langue aussi se mourait : les vieux tropes et les vieilles images, usés pendant plus d’un siècle, bossues et cognés à tous les coins, déformés par l’abus de l’analogie, ne rendaient plus aucun son à l’oreille et ne s’adaptaient plus au sentiment ni aux idées. Là aussi, tout était à refaire. Il fallait retrouver le rapport direct de la pensée et de l’expression, de la sensation et du vocable, et redonner enfin au verbe toute sa puissance

(1) Lettre à M. Mole, du 10 mars 180R : — <t ... Je suis parvenu a déterminer et fixer à mes yeux les caractères de la poésie et de la versification, de manière à pouvoir, au premier mot, distinguer Lucain de Virgile, et à savoir pourquoi les vers de Voltaire, d’Esménard et de quelques autres ne sont pas de bons vers, de véritables vers. Il mo semble que je sais très-bien maintenant ce que c’est que la poésie, lo poète et la versification : — architecture de mots. » Et une autre fois : — « Fontanes dit que Lebrun est un poète de mots, M Ce n’est pas si peu de chose ! » (Édition de 1861, t. I, p. li* ; t. II, p. 394.)